Orcq et la Marlière lors des sièges de Tournai de 1581 à 1745


1. Orcq et la Marlière lors du siège de 1581

Après le siège de 1513 Tournai ne restera anglaise que 5 ans et en 1518 Henri VIII vend la ville pour 400000 écus à François Ier. En 1521 la ville sera assiégée et conquise par les armées de Charles Quint ; les remparts sont foudroyés à partir de l’artillerie impériale placée devant le bois d’Orcq[1]. En 1549 Charles Quint et son fils Philippe II font leur entrée solennelle à Tournai en venant de Lille. Mais nous ne trouvons à l’occasion de ces deux événements aucune indication permettant de dire que Orcq et la Marlière aient été occupés par des personnages illustres.

Tournai est donc devenue espagnole et beaucoup de ses habitants se tournent vers la religion réformée. L’année 1566 a été intense en incidents dramatiques. A Orcq, à la Marmite, Ambroise Wille organise de grands prêches auxquels participent des foules considérables. A Tournai le 24 août de la même année on assiste au « grand saccagement »[2] lors duquel on brûlera les archives de la cathédrale. Entre-temps Tournai est gouvernée par le Prince d’Epinoy favorable aux hérétiques et en 1581 l’armée espagnole sous le commandement d’Alexandre Farnèse, Prince de Parme, met le siège devant Tournai. La ville sera dirigée, en l’absence du Prince d’Epinoy par sa valeureuse épouse Christine de Lalaing.

Le Prince de Parme investit Tournai le 4 octobre et prit son quartier et logea à Orcq au « château d’Urtebize »[3] et selon un autre auteur au « château d’Hurtebize au val d’Orcq » également le 4 octobre[4].

Il semble bien qu’Hurtebize et Marlière se confondent, en effet un plan du camp espagnol en 1581 (voir plan ci-dessous) montre que le Prince de Parme logeait à la Marlière et au XVIIe siècle Nicolas François Desmartin, seigneur de la Marlière à partir de 1678, était aussi seigneur d’Hurtebize. Mais Nicolas François Desmartin était déjà seigneur d’Hurtebize avant de devenir seigneur de la Marlière. Il est donc probable qu’on ait appelé le château de la Marlière château d’Hurtebize après que Nicolas Desmartin l’ait acquis et que postérieurement des historiens tels que Flamme, mais aussi Chotin aient employé cette dénomination à l’occasion d’événements antérieurs à 1678.

Description du siège de la ville de Tournay

« Description du siège de la ville de Tournay » (plan partiel) par Pierre Lepoivre 1582 Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles

Le plan ci dessus montre l’église d’Orcq dont l’axe principal est perpendiculaire à la rue de l’Eglise. L’église actuelle construite en 1782 est parallèle à cette rue et nous avions déjà à la lumière de plans anciens comme de Ferraris et autres, pu établir que la nouvelle église avait été reconstruite perpendiculairement à l’ancienne[5]

Par rapport à l’église, le camp de Farnèse et ses tentes se trouvent bien au cœur de l’ancienne seigneurie.

Le lecteur qui essaierait de comprendre la carte sera étonné de constater que deux ruisseaux convergent vers le point C. Le rieu d’Orcq actuel correspond à la branche BC, quant à la branche AC elle existait encore au XIXe siècle, mais a été entièrement canalisée.

La carte présente aussi la chaussée de Lille avec un parcours beaucoup plus sinueux qu’actuellement sans qu’on sache si c’était vraiment le cas ou la résultante d’une importante approximation.

Ce plan est à notre connaissance la plus ancienne représentation du village d’Orcq.

2. Le siège de 1667

On rappellera que la prise de Tournai en juin 1667 par Louis XIV est un épisode de la guerre de dévolution (1667-1668)

La dévolution est une ancienne coutume brabançonne d’après laquelle les enfants d’un premier mariage sont les seuls à hériter de leurs parents. Selon cette coutume Louis XIV a émis des prétentions sur plusieurs provinces de la monarchie espagnole après le décès du roi d’Espagne Philippe IV. Marie Thérèse d’Autriche épouse de Louis XIV était la fille aînée que Charles IV avait eue d’un premier mariage. Selon son contrat de mariage, Marie Thérèse n’avait en principe aucun droit à cette succession, mais la dot prévue en contrepartie n’avait jamais été versée à Louis XIV.

Dans le cadre de cette guerre, le 2 juin 1667, Louis XIV avait pris Charleroi et le 16, Ath. « Sa Majesté campa à la Capelle près de Ligne le 20 juin »[6]. Par la Capelle il faut en fait entendre les villages actuels de Chapelle-à-Oies et Chapelle-à-Wattines[7].

Le 21 juin Louis XIV se rendit vers les 7 heures du matin devant Tournai et le soir il traversa l’Escaut sur un pont formé de bateaux assemblés et fit disposer toute son armée pour le bivouac où il passa la nuit avec Monsieur. Le 22 la tranchée est ouverte et le roi passe la nuit au bivouac ainsi que le 23.

Dalicourt ne donne pas d’information plus précise. Par contre, Desmons se basant sur un manuscrit du comte de Vuoerden[8] que je n’ai pu retrouver dit que le 21 Louis XIV se posta à Orcq. Par contre, une autre source dit que le roi prit son quartier la même date, mais à Froyennes.[9]

Enfin, la seule histoire d’Orcq écrite à ce jour, à notre connaissance, précise que le soir du 21 juin Louis XIV a logé à la Marlière sans donner les sources de cette information[10].

3. Le siège de 1709

Dans le cadre de la guerre de succession d’Espagne, les alliés commandés par le prince Eugène de Savoie et le duc de Marlborough, enlèvent Tournai qui était aux mains des Français, le 28 juin 1709, et sa citadelle le 3 septembre. Sans en avoir la preuve absolue, on peut raisonnablement penser que le comte saxon Auguste Christoph von Wackerbarth (1662-1734), lieutenant général de l’armée alliée, a logé à la Marlière à cette occasion. Il fut chargé du commandement de l’aile droite des forces du comte de Schulembourg et la tranchée d’attaque se trouvait près du château.[11]

4. Le siège de 1745

Le siège de Tournai et la prise de la citadelle ainsi que la bataille de Fontenoy sont des épisodes de la guerre de succession d’Autriche, dont le but essentiel était d’affaiblir cette trop puissante nation.

Le 25 avril 1745, l’armée française, à la faveur d’un épais brouillard arrive aux portes de Tournai. La ville se rend le 20 mai et la garnison se retranche dans la citadelle pour se rendre un mois plus tard le 20 juin. Le 11 mai a lieu la bataille de Fontenoy qui voit la victoire des Français sur les alliés autrichiens, hollandais et anglais.

A l’occasion de ces opérations, Orcq et son château seront encore une fois mis à contribution.

Le 27 avril l’artillerie française arrive et place son parc à Orcq et le 28, c’est le corps d’ingénieurs qui arrive aussi à Orcq[12]. Il y a deux ans nous avions trouvé l’acte d’inhumation à Orcq d’Henri du Brocard commandant en chef de l’artillerie de l’armée du roi tué à Fontenoy, sans comprendre pourquoi on l’avait inhumé si loin du champ de bataille. A la lumière des informations précédentes on peut supposer que du Brocard avait ses quartiers à Orcq et qu’après son décès on l’ait ramené de Fontenoy vers Orcq pour y être inhumé.

Henri Baraillon du Brocard né vers 1672 a participé à de nombreux sièges et batailles. Il a été créé maréchal de camp le 20 février 1743. Il a dirigé les attaques du siège de Tournai et l’artillerie à Fontenoy le 11 mai 1745 où il a été tué d’un boulet à 8 heures du matin.[13]

Le 12 mai il fut inhumé dans l’église d’Orcq et Alexandre Toussaint curé d’Orcq écrit en latin dans son registre des décès : « Le 12e jour de mai 1745 fut inhumé dans l’église paroissiale d’Orcq noble Henri du Brocard, commandant des camps et armées du roi de France, lieutenant général d’artillerie tenant la contrée et premier de l’armée du roi en Flandre. »

En mai et juin 1745 deux ingénieurs du roi furent inhumés dans l’église d’Orcq : Frédéric Godefroy de Vélard de Paudy le 15 mai et Antoine de Regemorte le 24 mai ainsi qu’un officier d’artillerie: Nicolas Gabriel de Saint Méloir de Pannet le 3 juin.[14] Le premier et le troisième sont décédés sur le coup, le deuxième deux semaines après avoir été blessé.[15]

Le comte Charles d’Aumale (1688-1750) qui dirigeait les ingénieurs du roi à Tournai résidait peut-être à la Marlière. Il a donné au Maréchal de Saxe un mémoire pour régler la conduite à tenir dans la circonvallation de Tournai ainsi que l’estimation du nombre de travailleurs, soit 1800, nécessaires à l’ouverture de la tranchée à Orcq la nuit du 30 avril au 1er mai.[16]

Ce premier mai le comte d’Aumale fut créé Maréchal de camp devant Tournai.[17]

La présence d’Aumale au siège est donc avérée et la tranchée ayant été ouverte à deux endroits, l’un à la cense des Mottes à Froyennes et l’autre au centre d’Orcq, traversant la propriété actuelle de la Marlière, on peut raisonnablement supposer qu’il logeait à Orcq.

Par contre on peut dire avec certitude que le duc Charles de Fitz-James, commandant des travaux au siège de Tournai a logé à la Marlière. Les mémoires de Godefroy, un témoin des faits, précise : « J’ai été à Orcq, chez milord Saint-James, qui est logé au château d’Orcq » et aussi « Le régiment de Saint-Jal a été obligé de se retirer un peu, parce qu’il était trop vu du canon de la place ; un boulet de canon a donné dans le toit du château d’Orcq, dont un domestique de milord a été blessé »[18]

L’attaque de la ville s’est faite par la porte des Sept Fontaines soit à l’endroit où la chaussée de Courtrai arrive à Tournai. Le théâtre des opérations était situé entre les chaussées de Lille et de Courtrai et à l’est du rieu d’Orcq appelé dans son cours inférieur, rieu de Maire. Orcq et son château où les artilleurs et les ingénieurs du roi étaient cantonnés était donc le point névralgique de commandement des opérations du siège de 1745.

Plan des attaques de la ville et citadelle de Tournay

Plan des attaques de la ville et citadelle de Tournay (détail). 1745 Collection privée

Le plan ci dessus donne le détail du tracé de la tranchée à Orcq.[19]

De a à b, le tracé de la chaussée de Lille

De c à d, le tracé du rieu d’Orcq

En 1, l’église encore perpendiculaire à la rue du même nom à cette époque

En 2, le château de la Marlière, en 1745 Louis François Druez était seigneur de la Marlière.

En 3, le dépôt comme indiqué sur le plan. C’est là que la tranchée a été ouverte, cette tranchée servait aux assiégeants à approcher la ville à couvert, elle mesurait 15 pieds de large. Un tel ouvrage mené en mai anéantissait évidemment tout le travail des agriculteurs. Ce dépôt, qui contenait ce qui était nécessaire au siège, devait se trouver approximativement à l’endroit où se joignent les fonds des propriétés de MM Lhoir (ancienne ferme O. Bothuyne) et Soudant (ancienne ferme Ghislain) – parcelle A306 du plan Popp[20].

En 4, la Barrière (croisement du chemin Vert et de la chaussée de Lille)

En 5, la tranchée proprement dite qui était plus ou moins parallèle à la chaussée de Lille et recevait près de l’allée des Patriotes une branche venant directement de la chaussée, sans doute pour en faciliter l’accès. Elle faisait ensuite un coude pour traverser le chemin Vert et continuer vers Tournai.

Ouverture de la tranchée : le siège d’une ville était en fait une guerre de tranchées. Tout autour de la ville, un espace dénudé, le glacis, permettait aux assiégés d’observer les assiégeants et de leur envoyer des boulets. Il fallait donc approcher la ville en creusant des tranchées qui tout en approchant des ennemis devaient rester le plus parallèles possible au mur d’enceinte afin d’éviter que les boulets ne puissent y faire trop de dégâts. Le début du siège était marqué par l’ouverture de la tranchée, moment qui revêtait une certaine solennité.

Je tiens à remercier vivement Alain Tripnaux, président du Tricorne, l’association de sauvegarde du patrimoine lié à la bataille de Fontenoy, pour ses conseils éclairés.


[1]A.G. CHOTIN, Histoire de Tournai et du Tournésis, imprimerie Massart et Janssens, Tournai, 1840., tome 2, p. 107.

[2] A.G. CHOTIN, op. cit. tome, 2 p. 168.

[3] J.B. FLAMME, Histoire de la ville de Tournai, Imprimerie Massart et Janssens, Tournai, 1849, p. 133.

[4] A.G. CHOTIN, op. cit., tome 2 p. 197.

[5] B. DEMAIRE, Orcq à la fin du XVIIIe siècle sur la carte de cabinet des Pays-Bas dite carte de Ferraris, dans Revue Ligne 4, N° 3 MAI 2009, p. 17.

[6] P. DALICOURT, La campagne royale ou le triomphe des armes de sa Majesté és années 1667 et 1668, A Paris chez la veuve Gervais Alliot et son fils Gilles Alliot 1668, 2ème partie p. 29.

[7] F. DESMONS, La conquête en 1667, H. et L. Casterman libraires éditeurs, Tournai, 1907, p. 93.

[8] Desmons écrit Woerden, mais le comte lui-même écrit son nom Vuoerden, d’autres auteurs écrivent aussi Voerden

[9] VANDEUVRES, Relation de la guerre de Flandres en l’année 1667, Chez Charles Osmont, Paris 1672, p. 49.

[10] O. COLLYNS, Monographie d’Orcq, Publication à compte d’auteur, vers 1954, p. 146.

[11] A. TRIPNAUX, Corespondance privée, A. Tripnaux est un historien local qui maîtrise très bien l’histoire militaire de Tournai sous l’ancien régime.

[12] J. COLIN, Les mémoires du Maréchal de Saxe T III Journal du siège de Tournay du 20 avril au 20 mai 1745, Librairie militaire R. Chapelot, Paris, 1901 1906.

[13] On retiendra aussi qu’il fut l’inventeur de la gargousse : c’est la charge de poudre du canon pour tirer un coup contenue dans son enveloppe.

[14] Tournai, A.É.T., Registres paroissiaux d’Orcq, décès 1745

[15] J. COLIN, Les mémoires du Maréchal de Saxe T III, Journal du siège de Tournay du 20 avril au 20 mai 1745 et Journal du siège de la citadelle de Tournay du 20 mai au 20 juin 1745, Librairie militaire R. Chapelot, Paris, 1901 1906.

[16] L.CORMONTAINGNE, L’attaque des places, Editions Anselin, Paris, 1835, p. 276.

[17] COURCELLES, Dictionnaire historique et biographique des généraux français, Chez l’auteur, Paris 1820, p. 229.

[18] J. COLIN, op. cit., p. 173.

[19] ANONYME, Plan des attaques de la ville et citadelle de Tournai, Vendu chez Panckoucke à Lille et Robert à Paris, 1745

[20] P.C. POPP, Atlas cadastral de Belgique, plan parcellaire d’Orcq, Vers 1860.