A propos d’un éventail ayant appartenu à Marie Clérel de Tocqueville – Crombez


La galerie Michel Weber à Paris a vendu en décembre 2016 un éventail réalisé par Alexandre Soldé à l’occasion du mariage de la comtesse Marie de Tocqueville. Le texte présentant l’objet est reproduit ci-dessous.

“Exceptionnel éventail qui fut commandé à l’occasion du mariage de Marie Augustine Crombez avec René de Tocqueville en 1863. La merveilleuse et riche peinture qui orne la feuille fût confiée au peintre Alexandre Soldé. Il y a représenté différentes scènes de la préparation du mariage à laquelle s’affairent de nombreux putti… préparation de la mariée, répétition de l’Orchestre de putti, préparation du banquet, déménagement et préparation de la future maison des mariés par ces mêmes putti qui apportent notamment le berceau, d’autres apportent des confiseries sur la boite desquelles est inscrit « pâtisserie de Cupidon » …L’artiste a discrètement signé la feuille au bas d’une volute de pierre intégrée dans le paysage. Il a également discrètement indiqué les noms des mariés, de Tocqueville et Crombez, en l’inscrivant sur les boites posées proche du diadème de la mariée (lisible à la loupe). La monture est en nacre repercée, gravée, et dorée. Elle est gravée de deux putti entourant une couronne comtale qui surmonte le chiffre MT (Marie de Tocqueville). La première lettre du prénom des mariées M et R (Marie et René) est également gravée sur chaque côté de la gorge. Au revers, les écussons des deux familles et le chiffre de la mariée. L’éventail mesure 29,5cm fermé et 56 cm de diamètre ouvert.”

Marie Augustine Victorine Crombez

Elle est la fille de Victor Crombez, propriétaire de la Marlière à Orcq dont nous avons parlé dans un article publié par ailleurs sur notre site (onglet Gbd La Marlière aux XIXe et XXe siècles – 2e partie) et de Augustine Françoise Louise Durot. Elle naît à Lille le 28 avril 1845 au N° 97 de la rue Royale dans l’immeuble occupé par sa grand-mère maternelle.

En 1863 elle épouse René Clérel de Tocqueville à Orcq en 1863. Elle décédée, sans postérité, à Menton le 8 février 1872 des suites d’une maladie pulmonaire contractée sur le front franco-allemand alors qu’elle soignait des victimes de la guerre. Certaines sources disent qu’elle a été prisonnière des Allemands et qu’elle est décédée des suites de sa détention. Pour honorer sa mémoire, une statue de marbre la représentant (photo ci-dessus) a été placée dans le parc de la Marlière et s’est retrouvée ensuite au château de Montmort appartenant à son frère.

René Clérel de Tocqueville

Vicomte de Tocqueville, député de 1876 à 1877, né au Pecq (Seine et Oise), le 1er septembre 1835, neveu du philosophe politique, homme politique et historien Alexis de Tocqueville. Il s’engage en 1854 aux chasseurs d’Afrique, fait la campagne d’Afrique, puis celle d’Italie comme porte-guidon du maréchal de Mac-Mahon. Il est attaché à l’expédition de Chine comme officier de cavalerie à l’état-major du général Cousin-Montauban, et à celle de Cochinchine, comme aide de camp de l’amiral Charner. Capitaine aux guides en 1863, il donne sa démission, et se porte sans succès aux élections de 1869 pour le corps législatif. Nommé conseiller général de la Manche, pour le canton de Saint-Pierre-Eglise, il voit son élection invalidée pour vice de forme. Il reprend du service pendant la guerre de 1870, comme lieutenant-colonel du 72e mobile de la Manche. Il perd sa femme, qui, faite prisonnière par les Prussiens, pendant qu’elle soignait les blessés, meurt des fatigues et des souffrances de sa captivité. Propriétaire du château de Tourlaville et maire de cette commune. Officier de la Légion d’honneur le 3 octobre 1871.[1] Il meurt à Le Tréport le 14 janvier 1917. Photo Hussards-photos.com.

Le mariage à Orcq le 22 juin 1863

Le mariage civil a lieu à la maison communale d’Orcq le lundi 22 juin 1863 à 10 heures. Parmi les témoins on trouve Louis Crombez[2] membre de la chambre des représentants, oncle de l’épouse. Le mariage religieux est célébré le lendemain mardi 23 juin. Louis Crombez est à nouveau témoin.

Courrier de l’Escaut” du 21 juin 1863.

Les réjouissances prennent place le jour du mariage religieux comme en témoigne cet article publié dans le “Courrier de l’Escaut” du 21 juin 1863.

Éventail face 1

Éventail face 1

Cette face représente les blasons des deux familles unis par un ruban rose portant la date de l’événement : juin 1863.

EventailFace1Blasons

Sous une couronne comtale on trouve à gauche du chiffre T des Tocqueville le blason des Clérel de Tocqueville : d’argent à la fasce de sable, accompagné en chef de trois merlettes du même et en pointe de trois tourteaux du même. À droite se trouve le blason de la famille Crombez : d’or au chevron d’azur, accompagné, en chef de deux flèches au naturel posées en pal et en pointe d’un pin de sinople.

Éventail face 2

Éventail face 2

De gauche à droite cinq scènes relatives à l’union de René de Tocqueville et Marie Crombez sont représentées. De gauche à droite :

1 Les putti apportent un berceau, des jouets d’enfants et des dragées. Le vœu d’avoir des enfants restera malheureusement vain pour le couple. Marie décédera à l’âge de 27 ans sans descendance.

2 Les putti transfèrent les bagages vers la voiture qui emmènera les jeunes mariés à l’issue des cérémonies. L’un d’eux porte une boîte de douceurs « Lune de miel » réalisées par Cupidon confiseur. La lune de miel est la période d’une durée d’un mois lunaire (29 jours) juste après le mariage. On n’employait pas encore l’expression « voyage de noces » à l’époque. La voiture emmènera les époux vers un voyage d’agrément ou vers leur nouvelle demeure. À l’arrière-plan on reconnaît la façade avant du château de la Marlière à Orcq où Marie Crombez a passé son enfance. Le château ne comporte qu’un étage et les combles. Un étage supplémentaire sera ajouté plus tard (voir photo point 4 plus loin)

3 Des servantes aidées des putti apprêtent la jeune, elle a à peine 18 ans, future épouse. Dans un carton se trouve une couronne comtale qui deviendra sienne après le mariage. Le futur époux impatient de retrouver sa fiancée se voit interdire l’accès à la pièce par un putto, car elle n’est pas encore prête. Sur une volute de pierre en bas à droite on retrouve le nom de l’artiste – A Soldé – voir plus loin

4 Dressage de la table du repas de noces. Des putti, habillés cette fois, dressent la table dans la grande verrière adossée à la façade arrière du château. Ce jardin d’hiver construit en 1853 avait donné lieu à une inauguration décrite par Bozière dans la «Feuille de Tounai » : « L’inauguration de cette merveille, sans précédent, se fit le 26 janvier 1853, par un bal de nuit où figura l’élite de la société tournaisienne et des étrangers de distinction venus de Paris, de Lille et d’autres localités. »


5 Cette scène représente la répétition de l’orchestre des putti. L’animation musicale tenait certainement une place importante dans la fête, Victor Crombez étant membre de la société royale des orphéonistes de Tournai, dont il avait été président en 1850.

6 Détail de la monture en nacre : deux putti entourent le chiffre et la couronne comtale de Marie de Tocqueville. On retrouve également les initiales M et R des mariés sur la monture.

Le peintre : Alexandre Soldé

Né à Angers en 1821 et décédé à Paris en 1893. Il a connu une certaine notoriété au XIXe siècle. Le style très XVIIIe siècle qu’on retrouve sur la décoration de l’éventail avait déjà été remarqué en 1852 par un critique artistique[3] :

« Monsieur Soldé a consciencieusement étudié le règne de Louis XV et, sans être plagiaire, il rend avec une originalité charmante les attitudes maniérées et pourtant gracieuses de cette époque »

Il est entré en 1842 dans l’atelier de Léon Cogniet dont il est l’élève.

L’éventait se trouve actuellement dans une collection privée en Allemagne.


[1] Dictionnaire des parlementaires français, Paris 1889

[2] Louis CROMBEZ : député libéral de Tournai de 1860 à 1891 et bourgmestre de la ville de 1872 à 1883.

[3] A. SOLAND, Bulletin historique et monumental de l’Anjou, Vol. 1, Angers 1852