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VII. Les propriétaires du XIXe siècle
Piat Lefebvre Boucher et Louis François Xavier De Clercq
Piat François Joseph Lefebvre (Tournai 1752-1837) négociant et banquier était un descendant des célèbres orfèvres tournaisiens. Il avait épousé à Tournai en 1787 Marie Robertine Joseph Boucher (Tournai 1762 – Paris 1833). On accole généralement le nom de Boucher à celui de Lefebvre pour distinguer Piat François Joseph Lefebvre Boucher des autres membres connus de la famille portant le même prénom. Par décret du Préfet du Département de Jemappes en 1800, Piat François Joseph Lefebvre est nommé membre du Conseil de la ville de Tournai.
Louis François Xavier De Clercq quant à lui est né à Moen en 1774 et décédé à Paris en 1838 ; il était le fils de Jean, dernier bailli de Moen.
Pour cette période, nous nous sommes inspirés d’une étude relative à la famille De Clercq (D. LARIVIÈRE, La famille De Clercq, généalogie, origines, descendants, Cercle d’Histoire d’Oignies, Pas-de-Calais, 2011), elle-même basée sur un travail de Régine Vergnes (Travail non publié) aux Archives nationales à Paris qui a passé au crible fin le fonds « Rohan Bouillon ». Ce fonds (ARCHIVES NATIONALES DE FRANCE [Abrégé A.N.F.], Fonds Rohan Soubise, 273AP) est constitué des archives familiale de L. F. X. De Clercq Crombez relatives essentiellement à la liquidation de la faillite du Prince de Rohan Guéméné. En 1782, Henri Louis Marie, Prince de Rohan Guéméné et son épouse, Victoire Armande de Rohan Soubise, menaient grand train à Paris mais font une banqueroute de 33 millions de livres. Leur petite fille, Berthe de Rohan Guéméné, fille de Charles Alain Gabriel qui avait épousé son oncle paternel Louis Victor Mériadec, chargea L. F. X. De Clercq de la liquidation de la succession. Le père de L. F. X. De Clercq, Jean, était attaché au service de la maison de Rohan. Les fonctions remplies par son père expliquent sans doute ce choix (P.A. DU CHASTEL DE LA HOWARDERIES-NEUVIREUIL, Les descendants de Marguerite De Rasse femme de Charles Lefebvre orfèvre, dans Revue tournaisienne, plusieurs numéros entre 1900 et 1910).
Dès le début du XIXe siècle, Lefebvre, son épouse et De Clercq s’associent pour fonder une société civile détenue à raison de 50% par les époux Lefebvre et 50% par De Clercq. Piat Lefebvre Boucher seul et l’association Lefebvre De Clercq feront des investissements immobiliers énormes et acquerront entre autres des biens provenant de la succession Rohan Soubise. Il a été dit d’eux qu’ils étaient de grands acheteurs de biens nationaux, saisis aux aristocrates et communautés religieuses (E. MEUWISSEN, Les Crombez, dans Wavriensia Racines, Revue du Cercle Historique, Archéologique et Généalogique de Wavre et du Brabant wallon, t. LIX, n° 5, 2010, p. 200). On pourra juger de l’importance de leurs activités par quelques exemples :
Après le décès de Marie Robertine Boucher, épouse de Piat Lefebvre, l’association est légalement dissoute. L’acte de partage des biens immobiliers, à l’exclusion donc des biens mobiliers et de nombreuses affaires non encore liquidées, est passé à Gentilly devant le notaire Maître d’Anne le 16 janvier 1834. Le total des terres et forêts est évalué à environ 8000 hectares, comprenant deux domaines situés en Normandie, la forêt de Préaux acquise en 1822 d’une étendue de 1992 hectares et la forêt de Beaumont-le-Roger de 3455 hectares. De plus, certaines acquisitions ont été faites par De Clercq ou Lefebvre en dehors de l’association :
En 1804, Piat Lefebvre Boucher acquiert pour deux millions de livres, pour moitié le comté de Walhain appartenant à Armande Victoire de Rohan Soubise, l’autre moitié étant acquise par son oncle et ses cousins propriétaires de la manufacture de tapis de Tournai. Les biens étaient situés dans quarante-et-un villages belges différents (A.É.T. Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 19, art. 196). Quatre ans plus tard, Piat Lefebvre Boucher devient propriétaire de l’ensemble en rachetant la part de son oncle et de ses cousins.
L’achat de la Marlière pour quinze mille francs en 1803 par De Clercq et Lefebvre associés paraît dès lors bien modeste (A.É.T. Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 18, art. 144. L’acte a été enregistré à Tournai le 22 frimaire de l’an 12 [14 décembre 1803]) : Jean Christian de Woestenraedt, ancien chanoine à la cathédrale, demeurant Rue du Cygne à Tournai, vend à Piat François Joseph Lefebvre Boucher et L. F. X. De Clercq, tant pour eux que pour leurs héritiers « la terre ci-devant fief et seigneurie de la Marlière ». En plus du fief initial, quelques autres terres (non localisées) pour un total d’environ deux hectares faisaient aussi partie de la transaction. L’acte stipule également que le château et le jardin sont occupés par De Clercq. C’est le début du siècle et l’aube d’une ère nouvelle, le fief et la seigneurie ont vécu. Jusqu’en 1920, la Marlière va rester la propriété de Lefebvre et De Clercq et de leurs descendants. Ce sera aussi une ère d’extension et de faste.
Après l’acquisition, d’importants travaux d’embellissement seront entrepris mais dès 1820, les activités financières des associés les amènent à résider à Paris et le château resta inoccupé (F. J. BOZIERE, Souvenirs et légendes de l’ancien Tournaisis, dans La Feuille de Tournay, 1853-1857). Une investigation plus profonde serait nécessaire pour comprendre comment De Clercq a pu se constituer une fortune estimée à près de vingt millions de francs en 1838, année de son décès. Son sens inné des affaires était sans doute la principale de ses qualités. Ce descendant d’une famille de petits baillis flamands a pu bâtir une fortune colossale à partir de la liquidation des biens de ces grands aristocrates français sans doute quelque peu naïfs.
Henriette De Clercq Crombez (1812-1878)
Henriette Lefebvre, baptisée le 31 janvier 1790 dans la paroisse Sainte-Marguerite de Tournai, fille de Piat Lefebvre, épouse Benoît Georges Alexis Crombez. Ce dernier est le fils de Jacques Antoine anobli en 1792 par François II, empereur d’Allemagne. Son époux est un richissime négociant tournaisien ayant fait fortune dans l’approvisionnement en fourrage des armées de Napoléon (E. MEUWISSEN, op. cit., p. 205). Le couple aura dix enfants dont trois mourront en bas âge et deux resteront sans postérité. Les cinq autres eurent au moins une vie bien remplie sinon des destins exceptionnels. L’histoire de la Marlière est marquée de l’empreinte de deux descendants: Henriette, l’aîné, et le troisième Victor. Comment garantir la pérennité d’une association lucrative brassant des sommes énormes et engendrant des profits considérables comme l’était l’association Lefebvre De Clercq si ce n’est par un mariage ?
Henriette Aline Françoise Ghislaine Crombez, née en 1812, épouse donc à Paris en 1834 Louis François Xavier De Clercq, l’associé de son grand-père. Elle est de trente-huit ans sa cadette. L.F. X. De Clercq était un parti convoité et au sein même de la famille Lefebvre, il a été la cause de dissensions. Une lettre de l’oncle d’Henriette Crombez, Marc Lefebvre frère aîné de sa mère, conservée dans le fonds Rohan Bouillon en témoigne : Le cinq novembre 1833, alors qu’Henriette Crombez est promise à De Clercq, il propose cyniquement à ce dernier « à votre choix » (textuellement dans la lettre) de s’allier avec une de ses trois filles car, il en avait trois en âge de se marier. Si cela ne suffisait pas, il garantissait à De Clercq que dans le cas où il persistait à vouloir épouser Henriette Crombez, mais qu’elle succomberait rapidement après le mariage, ses filles resteraient célibataires pour qu’il puisse faire un choix parmi elles (A.N.F., Fonds Rohan Bouillon, 273 AP 280). Marc Lefebvre qui avait épousé Louise Meuret originaire de Mons fera finalement une banqueroute retentissante vers 1840 à Tournai. Il dirigeait la banque Lefebvre Meuret.
Lors de la dissolution de l’association Lefebvre De Clercq, deux lots sont constitués et tirés au sort entre L.F.X. De Clercq d’une part et d’autre part Piat Lefebvre et ses enfants Henriette Lefebvre et Marc Lefebvre Meuret. Le premier lot contenant entre autres le château de la Marlière et la terre d’Oignies échoit à L. F. X. De Clercq. C’est donc le hasard qui a fait de lui, et plus tard son épouse, les châtelains de la Marlière.
Henriette Crombez aura deux enfants de L. F. X. De Clercq décédé en 1838.
La figure 7 la représente en compagnie de ses enfants, Berthe et Louis. Seule à la tête d’une immense fortune après le décès de son mari, Henriette Crombez résidera la plupart du temps à Oignies et parfois à Paris dans l’hôtel particulier qu’elle possède Rue Masseran. En 1840, elle achète aux frères et sœurs Longueville sept hectares et un are contigus à la Marlière, au nord du chemin du même nom. Une ferme était bâtie sur ce terrain mais cette dernière a été détruite un peu plus tard par Victor Crombez, son frère, après qu’il lui eut acheté ce bien en 1845. Cette terre est distinctement représentée (fig. 5), elle porte le nº 56. Ces sept hectares d’un seul tenant entourant une ferme ont certainement une origine ancienne, mais ni la tradition orale, ni les cartes anciennes n’ont conservé de nom de l’endroit ou de la ferme. Dans l’acte de vente sous seing privé conclu entre Henriette et Victor Crombez, l’endroit est désigné par « enclos Jubaru » du nom de l’agriculteur qui exploitait les terres à cette époque. Les époux Jean Louis Jubaru (D’après le site Généanet, il s’est avéré que ce nom de famille est originaire de Wattrelos. Le responsable de la transcription du recensement avait simplement créé une commune hybride entre Waterloo et Wattrelos) et Adélaïde Dupont exploitaient la ferme et étaient originaires de Watterlo (sic) (A.É.T., Archives de la commune d’Orcq-population, s. d. [1829]).
Cet « enclos » appartenait en 1791 à Mr Crequeaux (A.C.T., Terrier des faubourgs et pouvoirs de cette ville, Terrier nº 48, 1791). Il y a lieu de lire « Cresteau », et « Mr Crequeaux » est très probablement Charles Joseph Cresteau, époux de Marie Ignace Joseph Longueville. Le couple a eu onze enfants mais la seule descendante restante fut Sophie Hildegarde décédée en 1835. Mis en vente en 1840, le bien est acheté par Henriette Crombez aux descendants de Nicolas Alexandre Joseph Longueville, frère de Mme Cresteau (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 234B, art. 60). Ces successeurs sont désignés dans l’acte comme les héritiers de Sophie Hildegarde Cresteau. Charles Joseph Cresteau et son père, Claude, étaient seigneurs de Basses-Mottes à Forest (Hainaut). Une raison supplémentaire a peut-être motivé Henriette De Clercq Crombez à acquérir cette propriété, puisque son arrière-grand-mère paternelle n’était autre que Marie Anne Dorothée Cresteau, sœur de Charles Joseph Cresteau. C’était donc un moyen de garder « l’enclos » dans la famille.
À Oignies, Henriette De Clercq Crombez a une action sociale considérable et finance de ses propres deniers la construction de la mairie, de l’église, de l’école des garçons et de celle des filles, d’une salle de patronage, d’une usine à gaz, etc. Le tout représentant un investissement de quatre millions de francs en l’espace de trente années (F. MOIGNO, Institutions créées pour améliorer la condition physique et morale des populations – Mme Vve Henriette De Clercq à Oignies, dans Les mondes, 1868, p. 620. Il est intéressant de noter qu’en 1842 en faisant creuser un puits artésien dans sa propriété d’Oignies pour alimenter une pièce d’eau, elle a découvert du charbon. Cette découverte devait être à la base de l’exploitation de la houille dans le Pas-de-Calais, ce ne serait pas le fruit du hasard, mais elle aurait utilisé ce prétexte pour ne pas éveiller la curiosité d’autres prospecteurs potentiels !) Henriette s’est éteinte le 10 février 1878 à l’âge de soixante-cinq ans. Ses somptueuses funérailles n’ont jamais accueilli autant de monde à Oignies. Ses descendants se sont unis par intérêt à des noms prestigieux de l’aristocratie française et européenne.
Le plan de la figure 8 s’arrête au milieu de la propriété de la Marlière, il offre un aperçu de l’état de la propriété cinq ans avant le mariage d’Henriette Crombez. On distingue nettement une drève d’accès à partir du Chemin Vert qui n’existe plus aujourd’hui.
Victor Crombez
Le 29 juillet 1845, par un acte sous seing privé (A.É.T., Notariat, n° 965 (Acte du 1er août 1845 passé le notaire Charles François Joseph Simon), Henriette De Clercq Crombez vendait à son frère Victor, des biens décrits sous quarante-et-un articles différents situés à Orcq, Marquain, Hollain et Tournai, parmi lesquels la Marlière et quelques terres situées près de l’ancien fief qui seront incorporées plus tard dans le parc, constituant les terres héritées de son époux ainsi que « l’enclos Jubaru ».
La figure 10 ayant comme trame le plan cadastral d’Orcq de Popp édité vers 1860 permet de mieux visualiser la formation de la Marlière actuelle qui s’est constituée entre 1840 et 1858, sous la houlette des deux frère et sœur Crombez. Citons comme point de repère, dans le coin inférieur droit la chapelle Notre-Dame de la Paix le long de la Chaussée de Lille, et en bas vers la gauche la ferme du Vieux Maire qui se situe au centre du village. Les parcelles A, B, C, D et E constituent les terres reçues par Henriette De Clercq lors de la succession de son mari. En A le fief initial et en B, C, D et E sans doute les quelques terres acquises en 1803 par Piat Lefebvre Boucher et L. F. X. De Clercq du comte de Woestenraedt et qu’on n’a pas pu situer à partir de l’acte initial. En F se trouve « l’enclos Jubaru » acquis par Henriette De Clercq pendant son veuvage. Les terres A à F ont été vendues à Victor Crombez en 1845.
Acquisitions et échanges de Victor Crombez ultérieurs à 1845
En août 1847 (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 300A, art. 29), il procède à un échange avec Marie Anne Lecomte, veuve d’Hippolyte Varlet et ses enfants agriculteurs à Orcq. Il offre la pièce E et reçoit en échange la pièce G, lui permettant de disposer d’un large accès vers la Chaussée de Lille qui deviendra plus tard l’entrée principale du château.
En octobre 1849 (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 300A, art. 56), il achète la parcelle et la ferme H enclavées dans sa propriété. Cet ensemble avait été acheté en 1756 par Nicolas Joseph Ghislain qui l’avait acquis de Ferdinand Maloteau. Nicolas Ghislain, agriculteur descendant de Louis Ghislain, originaire de Taintignies, installé à Orcq en 1665 après son mariage avec Marie Martin, originaire du village. Les descendants de ces Ghislain, à savoir Marie Joseph, Jean Baptiste et Charlotte vendirent la propriété pour six mille francs à Victor Crombez. Jean Baptiste était l’exploitant, déjà en 1837, il avait racheté la ferme située au 36 Vieux Chemin de Lille (en ruines à l’époque). Cette ferme restera connue sous le nom de ferme Ghislain (Elle est actuellement propriété d’André Soudant).
En juin 1856 (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 439, art. 8) Victor Crombez achète la parcelle, la ferme et la maison de campagne reprises sous la lettre L. Sur le terrier n° 48 de 1791 (fig. 5), la ferme et les terres qui l’entourent appartenaient à Mr Miroux, sans doute le père de Jeanne Catherine Françoise Miroult dont il est question plus bas.
Un édifice de style classique (fig.11) bâti en 1822 par les « de le Vingne » (F. J. BOZIERE, Souvenirs et légendes de l’ancien Tournaisis, dans La Feuille de Tournay, 1853-1857) est accolé à la ferme. L’ensemble était avant 1856 la propriété des époux Jean Baptiste de le Vingne et Rosalie Périer qui les avaient hérités des parents Bon Gaspard de le Vingne et Jeanne Catherine Françoise Miroult. La demeure était une maison de campagne tandis que la ferme était mise en location. La figure 11 montre l’aile centrale de la maison de campagne et à gauche la ramure de l’un des arbres remarquables de la Marlière, un châtaignier de plus de deux siècles.
Jean Baptiste de le Vingne décède en 1841 et Rosalie Périer, son épouse en 1855. Leurs enfants Adolphe, Sidonie Delphine, Edouard et Rosalie vendent à Victor Crombez la maison, la ferme et un terrain de trois hectares le 17 juin 1856. Le même jour, ils lui vendent également environ quatre hectares de terre situés à Orcq section B n° 372 pour une somme globale de cinquante mille francs.
Le petit terrain situé au sud de cette parcelle est le jardin du presbytère. Dans le dénombrement des biens de la paroisse fait au début de son ministère en 1653 (A.É.T., Paroisse Sainte Agathe d’Orcq, n° 330), Nicaise Hennet précise que le presbytère est contigu au nord avec « l’héritage des hoirs de Melle Molembaye occupé par Noé Deswattines. ». Le curé Parsy, en 1668, écrit qu’au nord du presbytère se trouve l’héritage de Monsr [—] Oostemberghues (A.É.T., Paroisse Sainte Agathe d’Orcq, n° 331) occupé par Jacques Bracquenier. Il faut vraisemblablement lire « Troostembergh », famille de la noblesse belge. Nous ignorons si des liens familiaux ont existé entre ces propriétaires d’Ancien Régime.
Enfin, en août 1858 (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 485, art. 104), Victor Crombez acquiert le terrain et la ferme (situés en M sur le plan) désignés sous le nom de ferme du Pont. C’est sur cette parcelle que l’on observe les ruines d’une ancienne tour (fig. 12).
Sur le terrier n° 48 de 1791 (fig. 5) la ferme du Pont et d’autres terres à Orcq appartiennent à Mr de Blarenghien. Cela coïncide avec l’acte d’achat de 1858 à un Roubaisien qui l’avait acquise des frères Louis et Roger de Podenas, arrière-petits-fils de Jean Albert Joseph de Buisseret de Blarenghien. Les « de Pode- nas » avaient déclaré être propriétaires des biens depuis des temps immémoriaux. En principe donc en fouillant la généalogie ascen- dante de A. J. de Buisseret de Blarenghien et son épouse (sa cousine germaine) on devrait pouvoir trouver des informations sur les anciens propriétaires de cette tour. Le nobiliaire universel de France écrit par De Saint Allais précise que les Buisseret de Bla- renghien sont seigneurs de « Marquin» (DE SAINT ALLAIS, Nobiliaire universel de France, Paris, 1840).
Comme la propriété concernée est mitoyenne du jardin de la cure à l’ouest, on peut tenter d’établir une filiation des anciens propriétaires de ce bien en ayant recours une nouvelle fois au dénombrement des biens de la paroisse fait par Nicaise Hennet en 1653. Il écrit que le terrain de la cure est limité au levant à la propriété des héritiers de Séraphin du Chambge. Quelques éléments de la généalogie de cette famille ont permis d’établir un lien entre les du Chambge et les Buisseret de Blarenghien (M. LAINE, Archives généalogiques et historiques de la noblesse française, t. 8, Paris,1843 – P. A. DU CHASTEL DE LA HOWARDERIES-NEUVIREUIL, Noticesgénéalogiques tournaisiennes dressées sur titres, t. 1, Tournai, 1881, p. 418)..
Nicolas (1595-1641), le fils de Séraphin du Chambge (1560-1618), a épousé Marie Miroul, veuve en 1653. Lorsque Hennet fait son dénombrement, il décrit d’ailleurs la parcelle comme appartenant aux hoirs de son beau-père, Séraphin du Chambge. On retrouve ensuite Pierre François du Chambge dont la fille Jeanne, épouse Jacques Talbout. Leur fille, Marie Françoise épouse Jean Albert de Buisseret de Blarenghien, père de Louis Henri Joseph (propriétaire sur le terrier 48 de 1791) et de Charlotte Albertine Marie, mère de Jean Baptiste de Podenas, père de Louis et Roger de Podenas, cité plus haut.
Selon Sars de Solmon (C. DE SARS DE SOLMON, Recueil de généalogies, fragments, notes et épitaphes des provinces du Nord Valenciennes, XIXe siècle), les « du Chambge » de Lille (qu’il écrit « du Chamlge ») portent d’argent au chevron de gueule accompagné de deux merlettes de sable en chef et d’un trèfle de sinople en pointe).
Les dénombrements ultérieurs des biens de la paroisse ont été dressés par des curés d’Orcq font référence aux du Chambge : D’une part, le curé Parsy écrit vers 1668 que le presbytère est limité du levant par l’héritage des hoirs de Mr du Chamge de Lille occupé par Noé Deswattines. C’est ce même Noé Dewattines qui fera ériger la chapelle Notre-Dame de la Paix face à la ferme du Pont en 1698. L’inscription sur la chapelle rafraîchie en 1952 était erronée et en place de Defroyennes, il fallait lire Deswattines. D’autre part, Morelle écrit dans un dénombrement non daté que du temps de Toussaint, son prédécesseur, le presbytère était limité par 22 cens de terre des demoiselles du Chamge de Lille occupé par Louis Leconte. Le seul Louis Leconte qui puisse correspondre à lui est né vers 1752 ce qui situerait la date du dénombrement vers 1775 au moins. À ce moment, les du Chambge sont encore propriétaires (sans doute des descendantes célibataires de Pierre François du Chambge, suite auxquels les Buisseret de B. sont devenus propriétaires).
Ainsi en dix-huit ans, Henriette Crombez et son frère Victor ont fixé les limites de la Marlière qui sont encore les siennes actuellement à l’exception de la parcelle M, qui a été séparée du reste de la propriété suite à une vente conclue vers la fin du XXe siècle.
Travaux réalisés par Victor Crombez à la Marlière
Il semble que Victor Crombez ait commencé des travaux avant même d’avoir signé l’acte d’achat de 1845 dont il est question plus haut. En effet, le 2 septembre 1843 (ARCHIVES COMMUNALES DE TOURNAI (Dépôt de Templeuve), Rapports du Conseil échevinal d’Orcq, 1843), le Conseil échevinal rapporte que la démolition de la campagne de Mr Crombez Durot occupera des travailleurs durant une bonne partie de l’hiver 1843-1844 ce qui diminuera le montant de l’aide à accorder aux indigents secourus par le Bureau de bienfaisance du village (de nombreux journaliers se trouvaient au chômage forcé en hiver et donc sans ressources).
Antoine Justin Bruyenne (Tournai 1811-1896) (G. LEFEBVRE, Biographies tournaisiennes des XIXe et XXe siècles, Archéologie industrielle de Tournai, 1990, p. 31) se charge de la construction du nouveau château sur l’emplacement de l’ancien qui est abattu. Son œuvre est immense dans le Tournaisis, on lui doit notamment les églises d’Allain, Willemeau, Obigies, Pères rédemptoristes à Tournai, Hérinnes, Templeuve, Notre-Dame Auxiliatrice à Tournai ainsi que les châteaux de Bourgogne à Estaimbourg, Ere, Six à Froyennes, H. Duquesnes à Vaulx, de la Quennelée à Antoing, etc. Victor Crombez a certainement collaboré très activement à la réalisation des plans, car Bozière raconte qu’« on nous a assuré que les plans de l’édifice émanent du propriétaire» (F. J. BOZIERE, Souvenirs et légendes de l’ancien Tournaisis, dans La Feuille de Tournay, 1853-1857).
Laissons-lui encore la parole pour décrire la nouvelle construction : « C’est une assez jolie fantaisie ayant la forme d’un quadrilatère, dont les angles sont garnis de quatre tourelles recouvertes de toits pointus terminés par des bannières dorées. Des degrés, recouverts d’une marquise en fonte et en glaces d’un élégant dessin, donnent accès dans l’intérieur : Cette marquise, chauffée l’hiver par un calorifère installé dans les souterrains du château, recèle des plantes rares et des oiseaux exotiques qui y voltigent en liberté. Les salons sont d’une magnificence de très bon goût ; des tapisseries de haute lisse fabriquées à Tournai et des glaces d’un tain parfait contenues dans des bordures d’or, en revêtent les parois et donnent un aspect tout princier à ce séjour délicieux »
Les plans cadastraux permettent de suivre les différentes phases de travaux du château. Ceux-ci résultent de tournées effectuées par les fonctionnaires qui, à cette occasion, relèvent les transformations et les nouvelles constructions.
Tournées de 1848 et 1865
La figure 13 donne l’état du château avant les travaux effectués par Victor Crombez à partir de 1843. Il est constitué de deux bâtiments, un en U et l’autre constitue sans doute les annexes et écuries. Lors du relevé de 1848 (fig. 14), une nouvelle bâtisse a été construite avec quatre tours d’angle et un perron. Il n’y a plus de pont au dessus des douves et on s’interroge d’ailleurs sur le moyen d’accéder au château. Lors de la tournée de 1865 (fig. 15) le plan montre une construction qui enjambe les douves, il s’agit du jardin d’hiver inauguré le 26 janvier 1853 et dont Bozière fournit la description suivante :
« L’inauguration de cette merveille, sans précédent, se fit le vingt-six janvier 1853, par un bal de nuit où figura l’élite de la société tournaisienne et des étrangers de distinction venus de Paris, de Lille et d’autres localités. La richesse des tentures rayées de jaune et rouge, élégamment disposées en plis gracieux sur les murs en glaces ; l’éclat des lustres projetant leur lumière sur des charmants massifs de végétaux des tropiques, parmi lesquels on distinguait plus spécialement des Chamarops, des Astrapea, des Musa, des Strelitzia groupés avec des Azalées et des Camelia fleuris ; à ces feuillages, à ces longues palmes s’accrochaient des Passiflores grimpantes, des Hippomées en guirlande, et du milieu de ces buissons ravissants s’élançaient des gerbes d’une eau limpide, que l’air séparait en globules, se teignant par la réflexion des feux des bougies, en couleurs variées, qui les faisaient ressembler à des cascades de perles et de pierres précieuses…et la beauté, et la fraîcheur, et la délicatesse des parures féminines se détachant sur la verdure des végétaux ; tout devait concourir à faire de cette fête un enchantement, une féerie sans égale. Les jardins nouvellement plantés ne sont pas encore bien remarquables, mais ce qui l’est véritablement ce sont les serres vastes et bien fournies de tout ce que l’horticulture offre de plus précieux et de plus récent à nos riches amateurs. Ces serres sont entretenues avec un soin qui dénote, de la part du maître, un goût très prononcé pour l’élégant délassement que donne la culture des fleurs. Dans aucune propriété des environs de Tournai cette culture n’a atteint la perfection qui distingue les établissements du château de la Marlière. Là tout est beau, tout est élégant, tout est grand ; aussi les soins ne manquent pas plus que les sacrifices qu’il faut faire pour rassembler et entretenir ces trésors du règne végétal, pour lesquels les cinq parties du monde sont mises à contribution. Tout l’ensemble du « castel féodal », si capricieux de forme, qu’on ne peut assigner d’époque pour ce qui regarde l’imitation, est d’un aspect agréable vu de la grande chaussée de Lille. Il est encadré dans des bouquets d’arbres trop jeunes encore pour faire valoir l’édifice. Dans le lointain se dessinent les vastes pentes du Mont- Saint-Aubert » (F. J. BOZIERE, Souvenirs et légendes de l’ancien Tournaisis, dans La Feuille de Tournai, 1853-1857).
Cette photographie représentant le château (sans doute au début du XXe siècle), illustre très bien la façade arrière du bâtiment avec le jardin d’hiver enjambant les douves.
Tournée de 1878
Victor Crombez excellait dans l’art de la création des jardins. D’ailleurs il établissait même des plans pour autrui, comme par exemple celui des jardins de la propriété de sa sœur Henriette De Clercq à Oignies en France. En s’inspirant du style très en vogue des jardins anglais, il adoucit les perspectives enarrondissant les angles des douves et en jetant deux ponts au dessus. De même, il construit deux tours d’allure médiévale qui gardent un des nouveaux ponts (fig. 18). Une de ces tours subsiste encore de nos jours.
À l’étage de celle-ci un petit monument funéraire est inséré dans le manteau de la cheminée. L’épitaphe partiellement illisible permet de dire qu’il s’agit du monument funéraire des époux Ernoul Vandenbroucq et Agnès Derbaudringhien. Il représente le Christ en croix supporté par Dieu le Père, les trépassés et leurs saints patrons. Par son testament daté du 3 septembre 1438 (A. DE LA GRANGE, Choix de testaments tournaisiens antérieurs au XVIe siècle, dans Annales de la société historique et archéologique de Tournai. Nouvelle série, t. 2, 1897, p. 22, testament 799), Ernoul Vandenbroucq souhaitait faire ériger après son décès un « tabiel » pour lui et sa seconde épouse, Agnès Derbaudringhien, au cloître des Frères Augustins (Au coin de la Rue Frinoise et de la Rue des Augustins à Tournai). Comment et pourquoi ce « tabiel » fortement endommagé, sans doute par les iconoclastes, s’est retrouvé à cet endroit reste une énigme.
La tour ronde située en bas à gauche sur le plan (fig. 17) et (Photo A ci-dessous) est une imitation de ruine ancienne dont Victor Crombez était très friand. Actuellement, on peut encore observer à droite du château toute une muraille de type médiéval construite à la même époque (Photo B ci-dessous).
Photos ajoutées en décembre 2020, postérieurement à l’édition de l’article
Tournée de 1883
Ce dernier état (fig. 19) montre la construction d’une tour supplémentaire juste à côté du château, à gauche, et présente aussi le détail de celle-ci.
Fig. 19 : Tournée du cadastre de 1883, situation lors de la tournée (A.ÉT., Cadastre de Tournai, fonds non classé).
Une petite gravure (fig. 20) non signée de 6 cm sur 5 environ, postérieure à la construction de cette tour a été réalisée par l’artiste douaisien Alfred Robaut. L’intérêt de cet artiste pour la Marlière peut s’expliquer de la façon suivante : Armand d’Herbomez, le fils de sa sœur, archiviste de la ville de Tournai et important historien local a habité à la Marlière ainsi qu’il en ressort de deux listes de 1888 et 1893 de soucripteurs à la bibliothèque de l’École des Chartes dont il était un ancien élève. On y lit: « Herbomez (Armand d’) au château d’Orcq par Tournay (Belgique) ». Au bas d’une des deux épreuves de la gravure, il était indiqué à la main : « A la demande de d’Herbomez Robaut (Alfred Robaut) ». On peut dès lors supposer que les parents d’Armand d’Herbomez ont commandé cette gravure à leur frère et beau-frère, Alfred Robaut. La famille d’Herbomez habitait probablement un des immeubles situés dans la propriété.
La figure 21 représente le château en 1907 ( Photo aimablement transmise par Xaxier Crombez Rémond de Montmort, descendant de Victor Crombez, ainsi que celles des fig. 21 et 22) à l’occasion d’une fête organisée pour les villageois après le mariage de Raymond Crombez Rémond de Montmort. La tour décrite dans la tournée de 1883 se trouve à gauche entourée de lierre. Enfin, il nous a paru intéressant de noter que l’étang présent au nord de la propriété le long du Rieu et récemment remis sous eau n’a pas une origine naturelle et a en fait été creusé sur les ordres de Victor Crombez vers 1870. Un plan de la tournée des agents du cadastre en 1870 le prouve.
Éléments de la biographie de Victor Crombez
Victor Crombez n’a pas eu une vie publique importante, il fut membre du Conseil communal de Tournai du 23 décembre 1843 au 6 septembre 1845 (H. VANDENBROECK, La magistrature tournaisienne (1179-1871), dans Mémoires de la Société historique et littéraire de Tournait, t. 10, Tournai, 1871) date de sa démission. Il est élu lors des élections communales d’Orcq du 22 août 1848 et devient conseiller le 24 novembre 1848 (ARCHIVES COMMUNALES DE TOURNAI, Rapports du conseil communal d’Orcq, 1843-1845). Suite au résultat du scrutin, il est nommé bourgmestre par Léopold Ier mais refuse d’assumer cette tâche. Ses activités économiques l’ont amené à gérer ses biens de façon plutôt adroite si l’on sait qu’à son décès, il a laissé un héritage de huit millions de francs or, une fortune considérable.
Un peu avant 1870, il construit un hôtel particulier au n° 129 du Boulevard Haussmann qu’il occupera durant ses séjours à Paris. Il possédait des charbonnages à Dourges et en copropriété avec son cousin De Clercq à Carvin et Oignies. Comme sa sœur Henriette et ses frères Benjamin et Louis, il s’est beaucoup préoccupé du sort des moins nantis, pour preuve, il suffit de lire son éloge funèbre paru dans le « Courrier de l’Escaut » à l’occasion de son décès le 11 mai 1898: « Il savait intervenir d’une façon efficace au profit des malheureux et des travailleurs : les travailleurs de la terre, les ouvriers agricoles, ces déshérités de la terre comme il les appelait, étaient surtout l’objet de ses préoccupations et de ses générosités : il s’ingénia à leur venir en aide. C’est à leur intention qu’il participa au mouvement protectionniste en créant la Ligue agricole dont il fut le président, qu’il établit dans de nombreuses communes des sociétés de secours mutuels (note : dont la société mutuelle « Les ouvriers réunis » à Orcq), qu’il fonda des asiles pour l’enfance et qu’il consacra à différentes œuvres des sommes considérables. »
Victor Crombez eut deux enfants : Un fils, Victor Auguste et une fille, Marie Antoinette qui épousa à Orcq le 22 juin 1863 Augustin René Clérel de Tocqueville (le neveu de l’historien et homme d’état français Alexandre de Tocqueville). Elle mourut sans postérité à Menton, le 8 février 1872, des suites d’une maladie pulmonaire contractée sur le front franco-allemand alors qu’elle soignait des victimes de la guerre.
Auguste Crombez
Victor Auguste Crombez, surnommé Auguste pour le distinguer de son père, devient le propriétaire de la Marlière après le décès de celui-ci. Le 21 mai 1874, il épouse à Paris Geneviève Rémond de Montmort, fille du dernier Marquis de Montmort. La famille des Rémond de Montmort s’éteignant du côté des héritiers mâles, l’adjonction du nom de famille de l’épouse à celui des Crombez est autorisée par l’Arrêté royal du 2 mai 1910 (J. A. DE MOLINA, État présent de la noblesse du Royaume de Belgique, Tradition et vie, 1961, p. 260). La branche actuelle des Crombez Rémond de Montmort est issue de cette union. Auguste Crombez a également été conseiller communal à Orcq où il est décédé le 3 octobre 1911.
La figure 23 le représente à gauche avec son épouse et leur fille cadette, Suzanne. Lors du partage des biens, sa fille aînée hérite de la Marlière. Marie Madeleine a épousé Ferdinand François Costa de Saint Genix de Beauregard. Trois ans plus tard, la guerre éclatait et la Marlière était réquisitionnée par l’armée allemande.
La suite est décrite dans les mémoires non publiés d’Henri, un des fils des derniers propriétaires :
« Nous fûmes totalement coupés de la Belgique jusqu’en fin 1918 et ce fut alors pour retrouver un château entièrement détruit, un parc saccagé par les bombardements, creusé de tranchées et d’abris en ciment… un grand avion allemand plongeait encore dans l’étang ! Tout à fait à la fin de la guerre, en octobre 1918, l’ennemi avait fait un instant front sur l’Escaut. Pensant que le château serait occupé par un état-major comme il l’avait été jusque-là, des bombes à retardement très puissantes avaient été posées dans les caves, et après leur explosion il ne resta pratiquement que les murs extérieurs, eux-mêmes lézardés comme par un tremblement de terre. Tout le mobilier avait disparu au cours des années de l’occupation allemande: ce qui fut sauvé le fut par les religieuses du village qui, très dévouées à la famille, se glissaient dans la maison entre deux groupes d’occupants pour ramener ce qu’elles pouvaient. Pratiquement, le seul bon objet subsistant est le reliquaire Louis XV dont j’ai déjà parlé. Il surnagea aussi, par quel hasard, quelques épaves: la commode Louis XVI de la chambre de ma grand-mère, percée d’éclats d’obus, des gravures de genre amusantes Napoléon III et le tapis du vestibule retrouvé dans les décombres, roulé là où les domestiques l’avaient rangé en 1914… Devant ce désastre, mes parents qui avaient construit « Le Pavillon » en 1908 et hérité de Beauregard en 1916, ne voulurent pas, avec raison, se charger d’une troisième propriété, que de surcroît il aurait fallu reconstruire et d’autant que les temps avaient changé, que les difficultés de service commençaient et que l’impôt sur le revenu faisait ses débuts. On mit donc Orcq en vente, mais uniquement le château et le parc avec le droit aux dommages de guerre: un riche brasseur, M. Horlait, l’acheta en 1920. »
Gaston Horlait (1875 – 1948)
Né à Ligne le 18 juin 1875, il devient le propriétaire de la Marlière dès 1920. Engagé comme volontaire lors de la Première Guerre, il est versé dans le corps des transports de la cinquième division armée en qualité d’officier auxiliaire. Le 1er mai 1916, il est nommé chef de la section cinématographique de l’armée. Il est cité à l’ordre du jour de l’armée « pour le courage et le dévouement dont il a fait preuve lors de sa longue présence au front » (B. DEMAIRE, La guerre 14-18 dans les villages de Lamain, Marquain et Orcq, dans Ligne 4, n° 2, novembre 2008, p. 36). Homme d’affaires bien connu à Tournai, il est administrateur délégué des Brasseries du Lion et président du club de football l’Union de Tournai dont le stade portait son nom (voir fig. 24: les porte-drapeaux des sections de supporters de l’Union de Tournai à la Marlière).
Il est également administrateur de plusieurs autres entreprises actives dans les domaines de la finance, du charbon, de la pierre, de la chimie et de l’industrie alimentaire. Son initiation à la Franc-maçonnerie en 1902 (loge tournaisienne du Grand Orient) (J. PRAGMAN (pseudonyme), Visages de la franc-maçonnerie à Tournai, Bruxelles, 2006) lui permet de faire la connaissance d’un frère de loge, Paul Bonduelle (Ce Tournaisien de naissance fut responsable du plan communal d’aménagement de Tournai après la Seconde Guerre et architecte en chef de l’exposition Universelle et Internationale de Bruxelles en 1958 (G. LEFEBVRE, op. cit., p. 24.). , qu’il choisi pour dresser les plans de la grande demeure qui va bientôt remplacer les ruines du château des Crombez. Le « château Horlait » (c’est comme cela qu’il est désigné à Orcq) est en réalité une très imposante et majestueuse demeure construite en pierres. On peut y reconnaître des éléments de la symbolique maçonnique tels que ceux figurant sur les deux colonnes de la façade est, surmontées de chapiteaux présentant chacun deux têtes d’aigles et deux têtes de faucons, représentations du dieu égyptien Horus. Durant la Seconde Guerre mondiale, Gaston Horlait contribua activement à résister à l’ennemi. Sa petite fille, Mireille T’Sas, s’est remémoré ses souvenirs de famille:
« Au début de la guerre, mon grand-père gérait une tannerie à Tournai. Pour éviter d’ envoyer des cuirs pour fabriquer les chaussures des Allemands, il a déménagé durant une nuit, toutes les machines de l’atelier à la Marlière et les a emmurées dans une grange jusqu’à la fin de la guerre. Il a ensuite fait revenir les machines à Tournai afin de fabriquer des cuirs pour les chaussures de l’armée américaine! Il a également employé des ouvriers pour creuser une piscine dans la propriété et la reboucher ensuite, lorsqu’il n’y avait plus de risques d’être découverts. Ce cycle alternatif a perduré. Les Allemands n’y ont vu que du feu et les ouvriers n’ont pas été envoyés dans des camps de travail en Allemagne. »
La famille Horlait a dû quitter la propriété à deux reprises pour faire place à des officiers allemands (Il s’agit d’informations orales transmises par Thérèse Blaton, petite fille de Gaston Horlait et recueillies par l’auteur). Un document carcéral établi le 27 mai 1943, prouve que Gaston Horlait était pensionnaire à la prison de Saint Gilles en raison de son appartenance à la franc- maçonnerie (Une copie de ce document a été transmise à l’auteur par Thérèse Blaton). Il décède au Zoute (Knokke) le 20 avril 1948.
Jean Horlait (1911-1993)
Né à Orcq le 2 avril 1911, Jean Horlait (P. HORLAIT, Correspondance privée, 2011) devient le propriétaire de la Marlière après le décès de son père, Gaston. Docteur en Droit de l’Université Libre de Bruxelles et Officier de Réserve de l’Armée belge, il entre très tôt dans la vie professionnelle aux côtés de son père. Il assure la gestion de diverses entreprises appartenant à des secteurs industriels représentatifs de la vie économique du Tournaisis telle que la Chambre de Commerce dans laquelle il s’implique activement. Pendant plus de vingt-cinq ans, il fut Membre du Comité d’Administration de la Société Générale de Banque à Tournai et juge au Tribunal de Commerce de Tournai. Il exerce également divers mandats d’administrateur de sociétés opérant principalement dans le Hainaut et en région bruxelloise. Toute sa vie durant, il vécut au domaine de La Marlière où il décédera le 22 mai 1993. Son épouse, Antoinette Losseau décède le 24 mars 1997.
Thierry Letartre
En 1998, les enfants de Jean Horlait, Philippe, Catherine et Patrick cédèrent la propriété familiale à Thierry et Servane Letartre, industriels français. Ces derniers restaurent entièrement le château construit par Gaston Horlait sans quasiment en altérer l’aspect extérieur.