Le chercheur en histoire locale actuel ne peut pas nier l’importance d’Internet et se doit d’interroger cette source de données lors de ses recherches.
C’est de cette façon que j’ai fait la connaissance de Maître Grison prince des Alliborons d’Orcq. J’ai d’abord cru que c’était un chef d’une tribu gauloise hybride entre les Eburons et le Allobroges et me réjouissais par avance de cette stupéfiante découverte qui aurait été relatée dans la presse interbnationale. Mon enthousiasme était cependant tempéré par le prénom du Prince : Maître Grison renvoyait plutôt à un notaire vieillissant, sévère et ennuyeux du XVIIIe siècle qu’à un vaillant guerrier gaulois. En terminant la lecture de la référence je vis qu’en 1830 Maître Grison avait écrit une lettre à un collègue et s’était de la sorte rendu célèbre – enterrée donc la voie des gaulois.
En fait Maître Grison est un personnage mythique, donc inventé de toutes pièces. A ma connaissance et dans l’état actuel de mes recherches sur l’histoire de notre village il est le seul personnage mythique qui ait jamais existé à Orcq. Le père de ce personnage n’est autre qu’Adrien Hoverlant de Beauwelaere. Si les amateurs d’histoire de Tournai connaissent bien cet historien local, la plupart des autres n’en ont jamais entendu parler c’est pourquoi je crois utile de le présenter brièvement.
Adrien Alexandre Marie Hoverlant de Beauwelaere est né à Tournai le 9 mars 1758 et y est décédé le 8 septembre 1840. Il termine ses études de droit à Louvain en 1782. Il exerce d’abord comme avocat mais se lance ensuite dans la politique et occupe plusieurs fonctions publiques. A partir de 1800 il se consacre uniquement à la recherche historique. Son œuvre maîtresse est sans conteste « L’essai chronologique pour servir à l’histoire de Tournay » (consultable à la bibliothèque de Tournai) publié de 1805 à 1834 en 114 volumes et 3 volumes de tables des matières. Cette histoire de Tournai est un mélange hétéroclite d’informations de toute nature concernant l’histoire de la ville, entrecoupé de tirades vengeresses et coléreuses contre ses ennemis et de cancans divers. L’historien actuel peut se référer à ce travail monumental en restant néanmoins très prudent, l’exactitude n’étant pas le premier souci d’Hoverlant. Voici ce qu’écrivait R C de Fortsas un des biographes d’Hoverlant en 1846 au sujet de l’essai chronologique :
« Pendant plus de trente ans ce fut de la part de l’Aretin (écrivain satirique italien du XVIème siècle) tournaisien, un déluge d’injures et de calomnies contre tous ses compatriotes les plus honorables. On ne peut même s’expliquer comment il échappa aux poursuites judiciaires et autres, surtout pour les derniers volumes, qu’en supposant qu’on le considérât comme devenu tout à fait fou »
Plus loin le même biographe écrit : « Il s’était mis, pendant les dernières années de sa vie, au régime de Robert d’Arbrissel, sans toutefois le supporter de même » Nous avons essayé de comprendre le sens cette phrase énigmatique. Robert d’Arbrissel est le fondateur de l’abbaye de Fontevraud, il conseillait à ses moines en guise de mortification suprême de dormir entre deux moniales sans succomber à l’acte de chair. Le lecteur déduira de lui-même ce que de Fortsas a voulu insinuer….
Lors de la parution du 66 éme volume de son essai chronologique il n’a plus que deux souscripteurs dont Piat Lefebvre Boucher qui à ce moment était propriétaire de château de la Marlière à Orcq.
Hoverlant a aussi publié d’autres œuvres moins volumineuses au rang desquelles il faut citer
Celle qui nous intéresse :
« La lettre authographe (sic) de son altesse sérénissime maître Grison, prince des Alliborons du village d’Orcq près de Tournay à son altesse sérénissime maître Roussin, prince des bourriques du village de Scharbeck (lisez Schaerbeek) près de Bruxelles »
Comme le libellé peut le laisser aisément deviner il s’agit d’un texte satirique que RC de Fortsas décrit dans sa biographie d’Hoverlant comme « un manifeste burlesque en faveur de la révolution de 1830 ; nomenclature cocasse de tous les griefs contre le gouvernement du roi Guillaume »
Je n’ai pas pu me procurer ce petit in 8° de 16 pages qui doit être devenu rarissime, mais ce qui importe aux Orcquois c’est de savoir pourquoi avoir choisi Orcq comme lieu de résidence pour ce prince mythique auteur de la lettre.
En fait c’est une affaire de baudets…. Quiconque connaît un peu Orcq sait que ses habitants sont appelés les baudets en référence aux charrettes de légumes des maraîchers orcquois arrivant jadis au marché de Tournai et tirées par des ânes. Les Tournaisiens confondant les maraîchers avec leur moyen de locomotion les baptisèrent « Les baudets d’Orcq »
Si on analyse le titre de la lettre on y trouve :
Grison : synonyme d’âne
Alliboron en fait Aliboron avec un seul L : synonyme d’âne
Orcq : village des baudets
Roussin : ou roussin d’Arcadie, synonyme d’âne
Bourrique : synonyme d’âne
Schaerbeek : pour les mêmes raison que ceux d’Orcq les habitants de Schaerbeek étaient appelés des ânes par les Bruxellois.
On peut conclure que le texte satirique devenait sans doute plus mordant si il était écrit par un baudet d’Orcq s’adressant à un âne de Schaerbeek. Le mystère de notre prince orcquois est ainsi levé. Si un lecteur possède cette lettre ce serait avec plaisir que nous en accepterions une copie pour les archives de Ligne 4.
Lithographie de Rosa Bonheur (Collection personnelle)
Pour en savoir plus sur Hoverlant de Beauwelaere on consultera :
De Fortsas R C, Notice biographique de messire Overlant (sic) de Beauwelaere. Bruxelles Librairie ancienne et moderne A Vandaele 1846
Lefebvre Gaston, Biographies tournaisiennes Archéologie industrielle de Tournai ASBL 1990
Milet chanoine, Bio Bibliographie d’Hoverlant de Beauwelaere Mémoires de la Société Royale d’Histoire et d’Archéologie de Tournai tome IX