La Marlière à Orcq 1ère partie (1513-1803), ses propriétaires et ses hôtes illustres


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Article publié en 2014 dans les Mémoires de la Société Royale d’Histoire et d’Archéologie de Tournai – Tome XIV Page 197 par Bernard Demaire.

Il y a cinq siècles, la ville de Tournai était conquise par Henri VIII. Le 13 ou le 14 septembre 1513, le souverain anglais établissait son quartier général à Orcq au château de la Marlière. Cet anniversaire nous apparaissait être une excellente occasion pour nous (re)plonger dans l’histoire méconnue de cette magnifique propriété depuis le XVI e siècle.

D’un point de vue étymologique, le terme « marlière » est la traduction picarde de « marnière », c’est-à-dire le lieu d’où la marne est extraite. Durant l’Ancien Régime, le nom de « marlière » désignait le fief et seigneurie qui n’évoluera que très peu en superficie. C’est seulement au XIXe siècle que le fief donnera son nom à la propriété qui sera agrandie par la famille Crombez et qui n’a que peu été modifiée depuis lors.

Le statut juridique du fief initial n’a pas toujours été très clairement établi par les auteurs contemporains, c’est pourquoi il nous paraissait nécessaire de l’évoquer au fil de cette publication dont l’objectif est double. D’une part, il s’agira de présenter de manière chronologique les propriétaires successifs qui ont fait évoluer la seigneurie de deux bonniers et demi (soit environ trois hectares) du XVIe siècle vers la vaste propriété d’une vingtaine d’hectares que l’on connaît aujourd’hui. D’autre part, seront évoqués dans le contexte historique, les évènements qui ont amené des hôtes illustres à séjourner temporairement à la Marlière pour des raisons politiques ou militaires.

I Henri VIII à la Marlière lors du siège de 1513

Le séjour d’Henri VIII à Orcq est essentiellement basé sur une relation contemporaine des faits ainsi que sur les démêlés diplomatiques qui accompagnent la soumission de la ville de Tournai aux Anglais. Toutes ces informations étaient contenues dans le manuscrit 214 anciennement conservé à la bibliothèque de Tournai. Bien que ce document ait disparu dans la tourmente de mai 1940, il fut intégralement reproduit par Adolphe Hocquet. (Tournai et l’occupation anglaise, Tournai, 1901, p. 69-97.)

Sans trop s’attarder sur les détails de l’histoire du XVIe siècle, rappelons qu’en 1513, une coalition comprenant le pape Léon X, le roi d’Espagne Ferdinand d’Aragon, l’empereur d’Autriche Maximilien et le roi d’Angleterre Henri VIII avait ouvert les hostilités contre la France. Au mois d’août, Maximilien et Henri VIII, après avoir pris, pillé et détruit Thérouanne avaient décidé de mettre le cap sur Tournai. La prise de la ville qui affaiblissait la France convenait très bien à Maximilien même s’il la laissait aux mains d’Henri dont il savait très bien qu’il n’en tirerait pas grand-chose.

Dans la nuit du 9 au 10 septembre, un curé de village dépêché par le Seigneur de Wannehain vint avertir le Magistrat de Tournai que les alliés marchaient contre la ville. Les habitants des faubourgs se réfugièrent dans la ville avec bétail et biens et on acheva de brûler les faubourgs et d’abattre les arbres (afin que les assiégés puissent mieux observer les assiégeants). ( A. HOCQUET, op. cit., p. 73.) Dans la destruction disparurent l’abbaye des Prés (Il s’agit de l’abbaye des Prés-Porcins qui se trouvait à l’emplacement de l’actuel commissariat de police, Drève de Maire) et la maladrerie du Val (Près de la chapelle des Lépreux située Chaussée de Lille). Talbot, lieutenant général de l’armée anglaise, avait quitté Lille le mercredi 14 septembre pour venir camper à une lieue de Tournai sur le Mont Doré au midi du Chemin de Lille entre Orcq et Marquain. Maximilien et Henri le suivaient. L’empereur logea au presbytère d’Orcq et Henri non loin de là « en une tour qui est une cense close d’yawe » (entourée d’eau) (J. A. C. BUCHON, Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France – Chronique de la Maison de Bourgogne par Robert Macquéreau. Livre III, Paris, 1838, p. 41). Il semble que l’on doive lire « Mont d’Orcq » qui se trouve en fait au nord de la Chaussée  de Lille. Il est possible que les armées venant de Thérouanne soient arrivées par le chemin du même nom (Actuellement Chemin Willems), auquel cas le Mont Doré se trouvait bien au sud. C’est d’ailleurs ce que pense Desmons qui, en marge de ses notes manuscrites, écrit en face de Mont doré : Mont d’Orcq (F. DESMONS, Henri VIII et Tournai, manuscrit déposé à la bibliothèque communale de Tournai, non daté [début XXe siècle]). Une autre source mentionne comme date de l’établissement du quartier général anglais à Orcq le 13 septembre, soit un jour plus tôt (A. G. CHOTIN, Histoire de Tournai et du Tournésis, Tournai, 1840, t. 2, p. 87).

Le 9 septembre, à Flodden, dans le nord de l’Angleterre, Jacques IV d’Ecosse est défait par les Anglais et tué lors de la bataille. Sa cotte de mailles et ses gantelets d’acier sont envoyés à Henri VIII qui les reçoit à son campement de la Marlière le 20 septembre. La cotte de maille sera montrée à Maximilien (J. S. BREWER, Letters and papers, foreign and domestic, Henry VIII, vol. 1: 1509-1514, Institute of historical research, 1920, p. 1023).  Le texte étant en anglais « coat » a été traduit par « cotte de maille » mais ce mot peut aussi signifier le surtout armorié porté au-dessus de la cuirasse ou les deux ensemble.

Le 21 septembre, les plénipotentiaires tournaisiens chargés de la reddition rencontrèrent les alliés à Maire dans le bâtiment qui abritait le Baillage de Tournai. C’est là qu’apprenant avec stupéfaction qu’ils devraient se soumettre à Henri plutôt qu’à Maximilien, ils demandèrent à rencontrer ce dernier qui les reçut au château des Mottes à Froyennes (Le château des Mottes à Froyennes dépendait de l’abbaye de Saint-Martin à Tournai) où il résidait. Il était accompagné d’Henri. Le roi et l’empereur leur confirmèrent que Tournai serait investie par les Anglais. Il se peut qu’entre le 14 et le 21 l’empereur Maximilien ait quitté le presbytère d’Orcq pour le château des Mottes. Une autre chronique situe cependant cette rencontre à Orcq (J. A. C. BUCHON, op. cit., p. 45) : « L’empereur les voyant en son logis au villaige d’Orcque en genoulx, sans en avoir pitié, leur dict : Entrés, vous Tournisiens par trop incorrigibles… »

Le 23 septembre fut le jour de la capitulation mais laissons la place au chroniqueur en reprenant le texte reproduit dans le manuscrit 214 :

« Le lendemain quy fut le vendredy, [donc le vingt-trois septembre] de l’après disné, les quattre chiefz de ladicte ville  avecq les deputez dessusdis et pluisieurs notables personnaiges de la ville en bon nombre tant de messeigneurs de l’église comme aultres, se trouvèrent vers ledit Roy en son camp en dehors d’Orque, du costé de la ville où il avoit fait tendre et dreschier une tente toute de drap d’or à forme de pavillon à ung lion d’or pardessus, laquelle estoit grande et fort riche et y avoit escript au dessus des bordures et rabastiaulx de alentour d’icelle en lettre Romaine « Dieu et mon droict » et venant de son logis quy estoit la cense et maison de la Marlière, appertenant à Jacques de Cordes, se vint bouter soulz ceste tente accompaignie de grand nombre de ses princes en moult beaux et riches accoustremens »

Ce texte permet d’affirmer que la capitulation a été signée non loin d’Orcq vers Tournai, dans une tente luxueuse érigée pour les grandes occasions. Arrivant à cette tente, Henri venait de son logis provisoire, la maison ou le château ferme de la Marlière appartenant à Jacques de Cordes. Il faut aussi apporter une petite correction à la relation des faits. En effet, la tente royale était surmontée d’un léopard d’or qu’on retrouve dans les armes des Tudor et non un lion. Ce détail est d’ailleurs confirmé dans une autre chronique évoquant « ung luppart acroupy, grant comme ung chien, tout de fin or massief (J. A. C. BUCHON, op. cit., p. 47)».

Le dimanche 25, Henri VIII quitte Orcq vers dix heures du matin et fait son entrée triomphale à Tournai lors d’un cortège somptueux. Les différents auteurs ne citent plus Orcq ou la Marlière par la suite, à l’exception d’un seul d’entre eux (C. G. CRUICKSHANK, The english occupation of Tournay, Oxford, 1971) mentionnant que les jours passant, comme on ne voyait pas de démonstrations hostiles de la part des citoyens de Tournai, Henri fut désireux de mieux connaître son nouveau peuple. Il part de son campement à Orcq pour les quartiers moins sûrs de Tournai. Il quitte définitivement la cité le 13 octobre.

II Les « de Cordes », seigneurs de la Marlière au XVIe siècle

L’occupation anglaise de 1513 relatée par un chroniqueur anonyme cite un certain Jacques de Cordes, seigneur de la Marlière. Dans le passé, plusieurs auteurs se sont penchés sur la généalogie de cette famille mais une synthèse plus récente a été publiée en 1979 (A. DE LANNOY, Les sires de Cordes, marchands puis nobles, seigneurs du Biez, de la Marlière et de Guissignies, dans Le Parchemin, 1979, p. 433-468; 451). De Lannoy a étudié de nombreuses familles importantes de la région de Celles, Renaix et Leuze. Bien que les seigneurs de la Marlière soient originaires de Tournai, il est probable qu’ils descendent des « de Cordes de Waudripont » (Wattripont). Ce lien proche de la région mentionnée ci-avant explique pourquoi cet auteur s’est intéressé à cette famille. Il expose la lignée des « seigneurs de la Marlière à Orcq » comme ce qui suit :

Jacques de Cordes (? – 1533)

Jacques de Cordes est écuyer et seigneur de la Marlière suite à un achat fait le 2 mai 1503. L’auteur n’indique rien d’autre sur cette seigneurie mais de plus amples informations sont fournies dans le Livre des rapports du chapitre (ARCHIVES DE LA CATHÉDRALE DE TOURNAI [abrégé A.C.T.], Livre des rapports du chapitre, Registre 70, 1599, p. 14), mentionnant l’étendue de la seigneurie de la Marlière qui est, en 1590, de deux bonniers et demi. Cette seigneurie dépend du chapitre de la cathédrale de Tournai. Nous supposons donc qu’au début du XVIe siècle, elle disposait des mêmes statut et étendue. Malheureusement, la destruction des archives de la cathédrale en 1566 lors des guerres de religion limite considérablement la collecte des données relatives à ce sujet. Jacques de Cordes était un marchand domicilié à Anvers en 1498 (et au moins jusque l’an 1525). Il épousa, en 1498, Marguerite Taets (ou Tasse), fille de Jehan, originaire de Tournai, avec laquelle il eut plusieurs enfants dont Jehan de Cordes. En 1535, il est qualifié de chevalier, il décèdera le 12 mai 1533.

Jehan de Cordes (? – 1536)

Seigneur de la Marlière, décède le 11 juin 1536, Jehan de Cordes est inhumé à Anvers Notre-Dame. D’un premier mariage avec Josine Van Groesdonck, décédée en 1534, naquit un fils, Jean de Cordes.

Jean de Cordes (? – 1579)

Jean de Cordes, seigneur de la Marlière, est orphelin de mère, il avait tout au plus neuf ans au moment du décès de son père et lorsque son oncle, Jacques de Cordes, devint son tuteur. Il  épouse Isabelle Preunen le 19 avril 1547 et décède en 1579. Le couple a huit enfants mais aucun n’est cité par de Lannoy en tant que seigneur de la Marlière. Un des enfants également prénommé Jean (1549-1616), sans postérité, a adopté Jean Charles de Renialme, le fils aîné de sa sœur, Marie, qui avait épousé Ancelot (ou Lancelot) de Renialme. De Lannoy précise que Jean Charles de Renialme est seigneur de la Marlière. Cependant, le Livre des rapports du chapitre cite en juin 1590, dans le dénombrement des fiefs mouvant de la Trésorerie, que : « La terre et seigneurie del Marlière à Orcq contenant deux bonniers et demi, occupée par Jean de Cordes, fils de Jacques, présentement par Jacques Frayere ». On ignore donc qui était le seigneur de la Marlière entre 1579, l’année du décès de Jean de Cordes et 1610, date approximative de la majorité de Jean de Cordes Renialme, né entre 1574 et 1578.

Jean Charles de Cordes Renialme (1576-1641)

Jean Charles de Cordes Renialme est seigneur de la Marlière. Il contracte trois mariages successifs avec Isabelle Van der Dilft, Jacqueline de Caestre et Isabelle de Robiano. Il meurt le 18 août 1641 et est inhumé dans la cathédrale d’Anvers. Il fut d’ailleurs peint par Rubens en compagnie de sa deuxième épouse. L’attribution des tableaux à Rubens n’est pas certaine, en effet, certains auteurs pensent que ces peintures seraient plutôt l’œuvre  de Van Dyck (Rubens, l’atelier du génie : Catalogue d’exposition (14 septembre 2007 – 24 janvier 2008), Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2007).

Fig. 1 : Portrait de Jean Charles de Cordes Renialme (Musée des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles).
Fig. 2 : Portrait de Jacqueline de Caestre (Musée des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles).

Tournai n’est restée sous la domination anglaise que durant cinq années. En 1518, Henri VIII la vend pour quarante mille écus au roi de France, François Ier. En 1521, la ville est assiégée et conquise par les armées de Charles Quint; les remparts sont foudroyés à partir de l’artillerie impériale placée devant le bois d’Orcq (A. G. CHOTIN, op. cit., t. 2, p. 107). En 1549, Charles Quint et son fils, Philippe II, font leur entrée solennelle à Tournai en provenance de Lille. Toutefois, aucune indication ne permet de savoir si la Marlière a été occupée ou non par des personnages illustres à cette occasion. Tournai devint espagnole et bon nombre de ses habitants se tournent vers la religion réformée. L’année 1566 est particulièrement intense en incidents dramatiques. En effet, à Orcq, à la Marmite, Ambroise Wille organise de grands prêches auxquels participent des foules considérables. À Tournai, le 24 août de la même année, on assiste au « grand saccagement » (A. G. CHOTIN, op. cit., t. 2, p. 168) au cours duquel les archives de la cathédrale sont incendiées. Entre-temps, la ville est gouvernée par le Prince d’Epinoy favorable aux hérétiques.

En 1581, l’armée espagnole sous le commandement d’Alexandre Farnèse, Prince de Parme, met le siège devant la ville dirigée en l’absence du Prince d’Epinoy par sa valeureuse épouse Christine de Lalaing. Le Prince de Parme investit Tournai le 4 octobre, il prend son quartier et loge à Orcq au « château d’Urtebize » (J. B. FLAMME, Histoire de la ville de Tournai, Tournai, 1849, p. 133) ou d’après un autre auteur, au « château d’Hurtebize, au val d’Orcq » A. G. CHOTIN, op. cit., t. 2, p. 197). Il semblerait bien qu’Hurtebize et Marlière se confondent. En effet, un plan du camp espagnol en 1581 (cf. fig. 3) montre que le Prince de Parme logeait à la Marlière et au XVIIe siècle, Nicolas François Desmartin, seigneur de la Marlière à partir de 1678, était aussi seigneur d’Hurtebize. Toutefois, Nicolas François Desmartin était déjà seigneur d’Hurtebize avant de devenir seigneur de la Marlière. Il est donc probable qu’on ait appelé le château de la Marlière « château d’Hurtebize » après que Nicolas Desmartin l’ait acquis et que postérieurement des historiens tels que Flamme et Chotin aient employé cette dénomination à l’occasion d’événements antérieurs à 1678.

Fig. 3 : « Description du siège de la ville de Tournay » (plan partiel) par Pierre Lepoivre, 1582 (Bibliothèque royale Albert Ier , Bruxelles)

Ce plan situe l’église d’Orcq dont l’axe principal est perpendiculaire à la rue de l’église. L’église actuelle construite en 1782 est parallèle à cette rue. À la lumière de plans anciens tel que la carte de Ferraris, nous avions déjà pu établir que le nouvel édifice religieux avait été reconstruit perpendiculairement à l’ancien (B. DEMAIRE, Orcq à la fin du XVIIIe siècle sur la carte de cabinet des Pays- Bas dite carte de Ferraris, dans Ligne 4, n° 3, mai 2009, p. 17). Par rapport à l’église, les tentes et le camp de Farnèse se trouvaient bien au cœur de l’ancienne seigneurie. Étonnamment, on peut constater que deux ruisseaux convergent vers le point C. L’actuel rieu d’Orcq correspond à la branche BC, quant à la branche AC, elle existait encore au XIXe siècle mais a été entièrement canalisée. La carte représente également la Chaussée de Lille dont le parcours est beaucoup plus sinueux qu’aujourd’hui, sans que l’on ne sache si c’était vraiment le cas ou bien la résultante d’une importante approximation due aux faibles moyens techniques de l’époque. Ce document est probablement la plus ancienne représentation du village.

III Les seigneurs de la Marlière au XVIIe siècle

« Faire relief » ou « relever un fief » ; il ne serait pas superflu de rappeler la définition de cette notion. Sous l’Ancien Régime, la notion de propriété était bien différente de ce qu’elle revêt actuellement. On « tenait » un fief d’un seigneur de rang supérieur, celui-ci pouvait être ecclésiastique comme c’est le cas pour la Marlière qui était tenue de l’Office de la Trésorerie de la Cathédrale de Tournai. À chaque décès, soit de celui qui tenait le fief ou du seigneur à qui lui appartenait, le tenant devait relever le fief moyennant paiement et faire le dénombrement ou la  description de ce dernier dans les quarante jours. Si ces formalités et paiement n’étaient pas accomplis, il était alors déshérité du fief et un remplaçant entrait en fonction.

Charles et/ou Maximilien de Martigny

Le dernier membre de la famille de Cordes ayant été seigneur de la Marlière était Jean Charles de Cordes Renialme, décédé en 1641. Cependant, la seigneurie a été cédée avant cette date car un dénombrement des biens de l’évêché fait en 1628 informe que c’est Charles de Martigny qui tient le fief:

« Mr Charles de Martigny chanoine dudit Tournay tient en fief la Justice et seigneurie de le Marlière, consistant en une maison, jardin, fossetz, chingles, bois, terres labourables et heritages gisans a Orcq , enclavé au pouvoir et banlieu dudit Tournay, contenant deux bonniers et demy de grand ou environ. Y ayant deux hommages, hostes et tenables audit lieu d’Orcq avecq plusieurs rentes seigneuriales deües et plusieurs fiefs en tenus, s’y appertient audit fief d’avoir bailly, lieutenant, juges cottiers sergeans, messiers et amendes de soixante sols loniens et endessous quand le cas y eschet». (A.C.T., Rapport et dénombrement des biens de l’évesché de Tournay tenus en fief du Roy, donné par Maximilien évesque le 4ème de mars 1628, registre 79).

Il s’agit de la première description détaillée du fief de la Marlière. Le dénombrement laisse supposer que la seigneurie est d’une certaine importance puisque plusieurs fiefs en dépendent et que la justice y est rendue par un bailli, un lieutenant et des juges. Le mot « chingle » doit être compris dans le sens de « clôture ». En utilisant comme référence le bonnier de Tournai équivalant à 1,17 ha, la surface de la seigneurie est donc de 2,93 ha, soit environ trois ha. Des traces des tenants successifs du fief ont d’ailleurs été retrouvées dans un registre conservé aux A.C.T. (A.C.T., Fonds de la Trésorerie, Registre des plaids du bailli et des hommes de fief et des juges cottiers de la seigneurie de la Trésorerie, 11 [numéro provisoire], p. 5). Le 24 novembre 1635, Maximilien de Martigny fait relief du fief de la Marlière.

La famille Carpentier

Le 18 décembre 1635, Anne Carpentier demeurant à Anvers, « fille à procuration » (pour reprendre les termes exacts du texte) de Marguerite de Martigny, veuve d’Adrien Carpentier comparaît pour représenter sa mère à l’occasion du décès de messire Charles de Martigny, chanoine à Tournai, afin de faire valoir ses droits sur le fief de Marquain et de la Marlière. (A.C.T., Registre des plaids…, p. 5).

S’agit-il d’un dénommé Maximilien ou Charles? L’usage de ces deux différents prénoms est pour le moins étonnant. Entre 1629 et le 16 novembre 1635, Maximilien de Martigny est parrain lors de quatre baptêmes à Orcq et Charles lors de deux. Il est probable que Charles et Maximilien de Martigny ne soient qu’une seule et même personne. Un nécrologue des chanoines de la Cathédrale de Tournai (HOVERLANT DE BEAUWELAERE, Essai chronologique pour servir à l’histoire de Tournay, Tournai, 1806, t. 9, p. 18-60), cite Antoine de Martigny devenu chanoine le 19 août 1583 et ayant démissionné en 1586. Cette même année, on cite aussi Charles de Martigny devenu chanoine le 21 juillet 1586. On peut donc supposer que Charles/Maximilien de Martigny était un proche parent de Marguerite de Martigny.

Le 29 mars 1637, Anne Carpentier relève le fief. Elle comparaît à nouveau devant les hommes de fief de la Trésorerie de la Cathédrale en son nom et celui de ses sœurs Barbe et Charlotte, suite au décès de leur mère, Marguerite de Martigny (A.C.T., Registre des plaids…, p. 7).

Le 15 septembre 1637, les Consaux font abattre les bancs plaidoyables et le pilori nouvellement établi contre la maison de la Marlière (F. HENNEBERT, Ephémérides tournaisiennes, Tournai, 1841, p. 18). Ce pilori a été retrouvé vers 1930 dans le parc par Denise Horlait, fille de Gaston Horlait qui avait acheté la propriété en 1920. Ce dernier le fait reconstruire près de son habitation.

Fig. 4 Le pilori de la Marlière (Collection Mireille Beernaerts T’Sas)

La fig. 4 montre Denise Horlait le jour de son mariage à Orcq, en 1935 avec Robert T’Sas. (Cette photo nous a aimablement été transmise par Mme Mireille Beernaerts T’Sas, fille de Denise Horlait). Actuellement, ce pilori est à nouveau démonté car il est gênant pour la circulation des voitures des propriétaires. Notre espoir est qu’il retrouve un emplacement à partir duquel il serait être admiré de tous. (Au moment de transférer le texte sur le site Orcq.be – décembre 2020 – le pilori a été redressé dans la propriété).

Le 26 janvier 1640, Anne et sa sœur, Charlotte Carpentier, comparaissent devant les hommes de fief de la Trésorerie de la Cathédrale en qualité de tutrices et administratrices des personne et biens d’Henri Carpentier, leur neveu, fils de leur frère Alexandre, de son vivant seigneur de Marquain et de la Marlière (A.C.T., Registre des plaids…, p. 9). Cette délégation résulte d’un acte testamentaire passé par feu le seigneur de Marquain, le 16 juillet 1639. Toutes deux sont admises « au relief de le seigneurie de la Marlière » et prêtent ensuite le serment pertinent. Ce testament est également cité dans les notices généalogiques de du Chastel indiquant qu’Alexandre Carpentier est décédé avant le 2 septembre de la même année (P. A. DU CHASTEL DE LA HOWARDERIES-NEUVIREUIL, Notices généalogiques tournaisiennes dressées sur titres, t. 1, Tournai, 1881, p. 566).

Ne connaissant pas la date de naissance d’Henri, nous ignorons quand il est devenu majeur et seigneur de la Marlière mais il a épousé Marie Madeleine de Cordes le 12 septembre 1654 en la paroisse Saint-Jacques. Leurs deux premiers enfants, des fils, sont nés à Tournai à la suite desquels sont venues s’ajouter sept filles dont cinq sont nées à Orcq. L’acte de baptême, de l’une des filles du couple, dans les registres paroissiaux d’Orcq, nous apprend qu’à cette époque, le château possédait sa propre chapelle : « Le 15 de décembre 1664 fut baptisée en la chapelle du chasteau par la permission de Mgr le révérendissime évêque de Tournay, Anne Philippine de Carpentier fille de Henry et Marie Magdelaine de Cordes Sr de Marquain. Parain fut le viscomte d’Odregnie Mgr André Philippe de Gand dit Villain paroissien de Nre Dame en Tournay. Marine de la paroisse de Sainct Jacques en Tournay »

À ce stade, on peut reprendre une brève filiation de cette famille extraite de la généalogie de Cordes: Adrien de Carpentier et Marguerite de Martigny (que du Chastel désigne erronément par Marie de Montigny), dont : Anne, Charlotte, Barbe et Alexandre, dont Henri de Carpentier qui épouse Marie Madeleine de Cordes, fille de Maximilien et d’Antoinette le Clercq.

En 1673, Tournai a acquis le « Quart de Marquain » (F. DESMONS, Extension territoriale du Tournaisis et de la banlieue de Tournai au XVIIe siècle, dans Annales histoire archéologie de Tournai, t. XIV, 1909, p. 1-33). Orcq, avant cette date, était limité à l’ouest par le Rieu d’Orcq et cette acquisition par la ville, dont Orcq dépendait, a étendu son territoire d’une portion située entre le Rieu et le Quennelet à Marquain. Ce « Quart de Marquain » a été cédé par Henri de Carpentier, seigneur de Marquain et de la Marlière. En tant que lieutenant au régiment royal de cavalerie wallonne et désireux de se mettre en équipage, il a besoin d’argent et a proposé à la ville de Tournai de lui racheter les droits seigneuriaux afférents au « Quart de Marquain », soit cent cinquante hectares et six maisons, avec haute, moyenne et basse justice.

Il faudra attendre 1678 avant qu’il ne soit fait mention de la Marlière dans le Registre des plaids. Le 12 décembre de cette année, le temporel de la Trésorerie de la Cathédrale constate que le fief n’a pas été relevé et que son dénombrement n’a pas été fait depuis le décès d’Henri Carpentier (A.C.T., Registre des plaids…, p. 134). Ce dernier avait vendu le« Quart de Marquain » en 1673. Son décès se situe donc entre cette année et 1678, mais sans doute plus proche de 1678, car le temporel de la Trésorerie n’aurait probablement pas attendu cinq ans avant de réagir à un défaut de relief.

La famille Desmartin

Le 22 décembre 1678, Nicolas François Desmartin, écuyer, seigneur d’Hurtebize comparaît devant le temporel de la Trésorerie pour y présenter le décret par lequel la terre et seigneurie de la Marlière lui a été adjugée le 15 novembre 1678 par-devant le Lieutenant général du Baillage de Tournai. Cette terre étant tenue  et relevant du temporel de la Trésorerie de la Cathédrale, il demande d’en être « adhérité ». Après acceptation, il prête le serment d’usage et devient le nouveau seigneur (A.C.T., Registre des plaids…, p. 135). Il appartient à la branche de Casau. Les armes de cette famille se décrivent comme suit : d’azur à, la bande d’or, accompagné de deux étoiles du  même, à six rais (ce sont les armes des Desmartin seigneurs du Foresteau) chez les Casau l’écu est brisé par l’adjonction d’un croissant de sable posé sur le chef de la bande. Cimier : une gerbe de blé d’or, liée d’azur (P. A. DU CHASTEL DE LA HOWARDERIES-NEUVIREUIL, op. cit., p. 644).

Nicolas François Desmartin, né à Tournai, le 20 janvier 1651 décède avant le 22 septembre 1700. Il épouse à Tournai en 1670 Anne Monique Françoise Hovine. Les six premiers enfants du

couple naissent à Tournai, le sixième, Jean Baptiste, le 20 mars 1679, soit quelques mois après que les Desmartin deviennent propriétaires du fief. L’enfant suivant, Marie Adrienne, nait à Orcq le 19 décembre 1680, elle fut suivie par six frères et sœurs tous nés dans le village. Le couple a donc eu treize enfants. Les dates de naissance montrent que le couple s’est installé à Orcq vers 1679- 1680.

Entre 1683 et 1685, un différend oppose le seigneur d’Hurtebise au Collège des laboureurs de l’ancien pouvoir de Tournai au sujet de tailles dues par la seigneurie de la Marlière (ARCHIVES DE L’ÉTAT A TOURNAI [abrégé A.É.T.], Archives de la communauté d’Orcq, n° 35).

N. F. Desmartins se défend en stipulant que le fief de la Marlière n’appartient pas à la juridiction de la ville de Tournai mais relève de la Trésorerie de la Cathédrale qui elle-même dépend immé- diatement du roi « à cause » de la cour de Maire en Tournaisis.

Le 12 mars 1695, à la requête de François Carpentier, huissier de la chancellerie près de la Cour du Parlement de Tournai et le 14 mars à la requête de Pierre de Groot, habitant à Rumes, la Marlière est saisie et « mise sous la main » pour défaut de paiement de plusieurs dettes (A.C.T., Registre des plaids…, p. 177). Ces problèmes d’argent se sont probablement résolu, car Anne Monique Françoise Hovine relèvera le fief après son décès.

IV Les sièges de 1667 et de 1709

Les informations relatives aux hôtes de la Marlière à ces occasions sont peu nombreuses, d’ailleurs, les données se contredisent au sujet du siège de 1667.

Le siège de 1667

La prise de Tournai par Louis XIV en juin 1667 constitue un épisode de la guerre de Dévolution (1667-1668). La dévolution est une ancienne coutume brabançonne n’autorisant que les enfants d’un premier mariage à hériter de leurs parents (B.  et  M.  COTTRET,  Histoire  politique  de  l’Europe  XVIe-XVIIIe  siècles, Collection synthèse et histoire, Ophrys, 1996). Selon cette coutume, le roi de France a émis des prétentions sur plusieurs provinces espagnole après le décès du roi en 1665. L’infante Marie Thérèse, épouse de Louis XIV, était la fille aînée issue de la première union de Philippe IV d’Espagne. D’après les clauses de son contrat de mariage, celle-ci n’avait en principe aucun droit à cette succession mais la dot prévue en contrepartie de son alliance n’avait jamais été versée à Louis XIV.

Dans le cadre de cette guerre, Louis XIV avait pris Charleroi le 2 juin 1667 ainsi qu’Ath, le 16. « Sa Majesté campa à la Capelle près de Ligne le 20 juin» (P. DALICOURT, La campagne royale ou le triomphe des armes de sa Majesté és années 1667 et 1668, 2ème partie, Paris, 1668, p. 29). Par le terme « Capelle », il faut entendre les villages actuels de Chapelle-à-Oie et Chapelle-à- Wattines (F. DESMONS, La conquête en 1667, Tournai, 1907, p. 93). Le 21 juin, Louis XIV se rend vers les sept heures du matin devant Tournai. Le soir, il traverse l’Escaut sur un pont formé de bateaux assemblés et fait disposer toute son armée pour le bivouac où il passe la nuit avec Monsieur, son frère. Le lendemain la tranchée est ouverte et le roi passe les deux nuits suivantes au même endroit. Dalicourt ne donne pas d’information plus précise quant au déroulement de ces événements. Par contre, en se basant sur un manuscrit du comte de Vuoerden (Desmons écrit « Woerden » tandis que le comte écrit lui-même son propre nom « Vuoerden ». D’autres auteurs l’ont également écrit « Voerden »), Desmons raconte que Louis XIV se posta à Orcq le 21, tandis qu’une autre source précise que le roi prend son quartier à la même date mais à Froyennes (VANDEUVRES, Relation de la guerre de Flandres en l’année 1667, Paris, 1672, p. 49). Enfin, la seule histoire d’Orcq publiée à ce jour, écrit (sans en mentionner les sources) que le soir du 21 juin, Louis XIV loge à la Marlière (O. COLLYNS, Monographie d’Orcq, Publication à compte d’auteur, vers 1954, p. 146).

Le siège de 1709

Dans le cadre de la guerre de Succession d’Espagne (1701- 1714), les alliés commandés par le prince Eugène de Savoie et le duc de Marlborough, prennent Tournai des mains des Français, le 28 juin 1709 ainsi que sa citadelle le 3 septembre. Sans en avoir la preuve absolue, on peut raisonnablement penser que le comte saxon Auguste Christoph von Wackerbarth (1662-1734), lieutenant général de l’armée alliée, a logé à la Marlière à cette occasion.  Il est chargé du commandement de l’aile droite des forces du comte de Schulembourg dont la tranchée d’attaque se trouvait près du château (A. TRIPNAUX, Correspondance privée).

V Les seigneurs de la Marlière au XVIIIe siècle

La famille Desmartin (suite)

Le 22 septembre 1700, suite au décès de son mari, Anne Monique Françoise Hovine se présente en face des hommes de fief de la Trésorerie de la Cathédrale pour relever le fief de la Marlière (A.C.T., Registre des plaids…, p. 184). Elle décédera à Orcq le 14 juillet 1714.

En 1702, on fait référence à Adrien Joseph des Martins, écuyer, seigneur de Rosbecq, Hurtebize, la Marlière. Il est le second fils d’Anne Monique Françoise Hovine et de Nicolas  Joseph Desmartin qui avait épousé la veuve Madame de Nébra (F. BRASSART, La féodalité dans le Nord de la France : histoire du château et de la châtellenie de Douai, t. 1., 1877).

Le décès en 1695 d’Antoine, le frère aîné d’Adrien, mettait donc ce dernier en position de devenir le nouveau seigneur. Le registre des plaids ne mentionne cependant pas qu’il ait relevé le fief mais nous verrons ci-dessous que des négligences ont été commises dans les formalités à accomplir pour relever le fief légalement.

En octobre 1716, Thomas Joseph Bonnet comparaît à la Trésorerie de la Cathédrale en tant que « curateur commis aux biens abandonnés par les enfants de feu Dame anne monique françoise hovines Douairière d’hurtebise tels que jean baptiste Desmartin, nicolas françois joseph Desmartin, et damelle marie therese joseph Desmartin demts à Orcq, gilbert grangé en action de Damelle marie joseph Desmartin son épouse, et la Damelle veuve du Sr albert Roupin en qualité de mere grande et tutrice legitime Des Enfans mineurs delaissez par feu le Sr claude françois joseph Desmartin et Reine marie Roupin vivant conjoincts» (A.C.T., Registre des plaids …, p. 219). Le relief a été fait avec un retard conséquent puisque la veuve Desmartin était décédée depuis plus de deux ans. Le réquisitoire de Thomas Joseph Bonnet est d’ailleurs élogieux à ce sujet car il « s’adresse à vos Seigneuries les supplians estre servy de l’authoriser à faire ledit relief » pour éviter « par ce moÿen causer grand Domage et interest à ladite curation ». Y a-t-il eu des ennuis financiers ou des négligences? Aucune raison ne justifie ce retard. Le relief est accepté et le droit de soixante sols lonisiens est payé.

Du Chastel de la Howardries fait remonter la généalogie des Desmartin (branche de Casau qui est celle d’Orcq) au début du XVIe siècle (.A. DU CHASTEL DE LA HOWARDERIES-NEUVIREUIL, op. cit., p. 644) mais il dit prudemment que « cette branche étant fort obscure, avant 1632, je ne la prends sous ma responsabilité qu’à partir de cette date », c’est-à-dire à l’époque du père de Nicolas François Desmartin. Ne faut-il pas préciser qu’il avait préfacé la reproduction d’un ouvrage ancien affirmant que le grand-père de Nicolas François était un valet du comte de Middelbourg! (P. DE LA HAMAYDE (†1711), Le livre noir du patriciat tournaisien, dans Souvenirs de la Flandre wallonne, t. III, 2e série, Douai, 1883, p. 9)

La famille Locquerelle et Louis François Druez

Les circonstances de la mutation de propriété du fief sont connues (A.C.T., Registre des plaids…,p. 223). On fait savoir à Nicolas François Joseph Desmartins,  fils demeurant alors au château de la Marlière, qu’en date du 18 mai 1688 ses parents ont « vendu chacun pour le tout au profit de l’office de la Présentation de Notre-Dame fondée en la cathédrale de cette ville, cent cinquante livres tournois de rente héritable par an » et qu’il était en défaut de paiement de cette rente depuis seize ans. L’huissier d’armes à cheval passe à la Marlière le 25 juin 1720 et fait commandement à N. F. J. Desmartins de payer dans les trois jours. La dette n’étant pas apurée, l’huissier revient à Orcq le 3 juillet pour saisir les bâtiments et terres constituant le fief. La mise en vente est annoncée à la bretècque de Tournai le 20 juillet 1720. Une première offre de 3860 livres tournois est faite par Georges Vinchent. Après avoir surenchéri, c’est Etienne Delerue qui achète le fief pour 6145 livres 17 sols et 6 deniers tournois. Il était commandité par le sieur François Locquerelle dit Le Riche qui devient le nouveau seigneur de la Marlière. Six ans plus tard, le 20 juin 1726, celui-ci est anobli par Charles VI et obtient la permission de pouvoir transférer son titre, par faute d’héritier mâle au fils de son frère (Liste des titres de noblesse accordés par les souverains des Pays Bas de 1659 à 1794, Bruxelles, 1847). Les armes des Locquerelle sont d’azur, au chevron d’argent, accompagné, en chef de deux coquilles renversées, et, en pointe, d’une tête et col de loup, le tout du même.

François Locquerelle fait reconstruire le château entre 1720 et 1728 (A. PASTURE et F. JACQUES, Une description des paroisses de Tournai, Bruxelles, 1968). Puisqu’il n’a pas d’héritier direct, le 10 mars 1739, il fait donation de la seigneurie de la Marlière à sa nièce, Marie Madeleine Locquerelle, épouse de Louis François Druez baptisé en la paroisse de Saint Quentin le 28 mai 1715 (A.C.T., Registre des plaids…,p. 278). Cette dernière fait le dénombrement du fief le 14 mars 1739 (A.C.T., Fonds des localités, Orcq, n° 672). François Locquerelle meurt dans la paroisse Saint-Jacques le 25 septembre 1739. Les armes des Druez sont, de sable, au sautoir d’argent, cantonné de quatre étoiles du même à six rais.

Le 14 janvier 1754, Marie Madeleine Locquerelle déclare « se déshériter, désaisir et dévestir du fief et seigneurie de la Marlière au profit de celuy, ceux ou celles qu’elle a disposés ou disposera par testament ou autres dispositions » (A.C.T., Registre des plaids…,p. 301). C’est la dernière référence à la Marlière dans le registre des plaids. Le 10 mars 1748, L. F. Druez est parrain de Louise Béghin, à cette occasion, il est qualifié de « Toparcha de la Marlière » soit « Seigneur de la Marlière ». Le 7 octobre 1765, M. M. Locquerelle est inhumée  dans le chœur de l’église d’Orcq. Quant au « toparcha in Marquain et de la Marlière », il décède à Orcq le 27 août 1771 et est inhumé dans ce même lieu (A.É.T., Registres des décès de la paroisse d’Orcq, 27 août 1771). Lors de la construction de la nouvelle église en 1782, la plaque tombale des époux Druez-Locquerelle est replacée dans le chœur mais actuellement un plancher la recouvre et la rend inaccessible.

Le chevalier de Bonnes

Le chevalier de Bonnes est seigneur de la Marlière à l’époque de Marie Thérèse (HOVERLANT, op. cit, 1812, t. 102, p. 73). À l’exception des écrits d’Hoverlant, aucune autre référence à ce personnage n’a été retrouvée. Lors du décès de L. F. Druez en 1771, Nicolas Toussaint, curé d’Orcq, le qualifie de seigneur de la Marlière. Charles Eugène Benoist vend la propriété en 1782. Il est donc possible qu’après la mort de L. F. Druez, la Marlière soit passée au cours de ce laps de temps de onze ans entre les mains de deux propriétaires différents.

Charles Eugène Marie Benoist de Gentissart

Eugène Benoît de Condé achète des lettres de baron et devient propriétaire de la Marlière. Il transfère ensuite sa propriété au comte de Woestenraedt (HOVERLANT, op. cit., t. 102, p. 73). Lors de la vente du terrain par de Woestenraedt à Lefebvre et Declercq (A.É.T., Bureau de l’enregistrement de Tournai, vol. 18, n° 144), l’origine de propriété mentionne que de Woestenraedt l’a acquise le 13 novembre 1782 de Charles Eugène Marie Besnoit de Tournai. Ceci confirme donc les propos d’Hoverlant.

Charles Eugène Marie Benoist de Gentissart (Condé, 7 avril 1741 – Tournai, 25 novembre 1804), obtient le titre de baron le 16 septembre 1778. Il épouse en premières noces, le 28 mai 1764, Marie Louise Henriette Visart de Bocarmé et en secondes Isabelle Marie Thérèse Caroline de Wulf, le 6 novembre 1779.

Le chanoine comte Jean Christian de Woestenraedt

Le comte Jean Christian de Woestenraedt, chanoine à la cathédrale de Tournai, acquiert la Marlière en novembre 1782. Sa famille est originaire de la principauté de Liège, dans le sud du Limbourg hollandais. Ils étaient barons mais c’est Philippe Joseph Dieudonné de Woestenraedt qui a été créé comte par lettres patentes du 1er février 1744. Le blason familial est de gueules à la ramure de cerf d’or accompagné d’un cygne d’argent en cœur. En 1825, le comte signe un codicille à son testament « dernier vivant des comtes et barons de Woestenraedt ». Il est donc à supposer que cette famille s’est éteinte après son décès. Un terrier de 1791 conservé à la cathédrale de Tournai, illustre le fief de la Marlière à la fin de l’Ancien Régime (fig. 5) (A.C.T., Terrier des faubourgs et pouvoirs de cette ville, Terrier nº 48, 1791).

Fig. 5 : Plan du fief de la Marlière (A.C.T., Plan terrier, n) 48, 1791)

VI Le siège de Tournai

Le siège de Tournai, la prise de la citadelle ainsi que la bataille de Fontenoy sont des épisodes de la guerre de Succession d’Autriche. Le 25 avril 1745, l’armée française, à la faveur d’un épais brouillard arrive aux portes de Tournai. La ville se rend le 20 mai et la garnison se retranche dans la citadelle pour se rendre un mois plus tard, le 20 juin. Le 11 mai a lieu la bataille de Fontenoy qui voit la victoire des Français sur les alliés autrichiens, hollandais et anglais. À l’occasion de ces opérations, Orcq et son château sont encore une fois mis à contribution.

Le 27 avril, l’artillerie française arrive et installe son parc à Orcq. Le jour suivant c’est au tour du corps d’ingénieurs de débarquer sur place (J. COLIN, Les mémoires du Maréchal de Saxe, t. III : Journal du siège de Tournay du 20 avril au 20 mai 1745, Paris, p. 1901-1906). L’acte d’inhumation d’Henri du Brocard, commandant en chef de l’artillerie de l’armée du roi, tué à Fontenoy, précise qu’il a été enterré à Orcq. Pourquoi ce dernier a t’il été inhumé si loin du champ de bataille ? À la lumière des informations précédentes, on peut supposer que du Brocard avait ses quartiers à Orcq et qu’après son décès, on l’ait ramené de Fontenoy vers Orcq pour y être enterré. Henri Baraillon du Brocard, né vers 1672, a participé à de nombreux sièges et  batailles. Il a été nommé maréchal de camp le 20 février 1743. Il a dirigé les attaques du siège de Tournai et l’artillerie à Fontenoy le 11 mai 1745 où il a été tué par un boulet de canon (On retiendra aussi qu’il fut l’inventeur de la gargousse, c’est-à-dire la charge  de poudre du canon pour tirer un coup contenue dans son enveloppe). Alexandre Toussaint, curé d’Orcq, écrit  en  latin  dans  son  registre  des  décès : « Le 12e jour de mai 1745 fut inhumé dans l’église paroissiale d’Orcq noble Henri du Brocard, commandant des camps et armées du roi de France, lieutenant général d’artillerie tenant la contrée et premier de l’armée du roi en Flandre» (A.É.T., Registres des décès de la paroisse d’Orcq, 1745). En mai et juin 1745, deux ingénieurs du roi furent également inhumés dans l’église d’Orcq : Frédéric Godefroy de Vélard de Paudy le 15 mai et Antoine de Regemorte, le 24 mai ainsi qu’un officier d’artillerie: Nicolas Gabriel de Saint Méloir de Pannet le 3 juin (A.É.T., Registres des décès de la paroisse d’Orcq, 1745). Le premier et le troisième sont décédés sur le coup, le deuxième deux semaines après avoir été blessé (J. COLIN, op. cit).

Le comte Charles d’Aumale (1688-1750) dirigeant les ingénieurs du roi à Tournai résidait peut-être à la Marlière. Il a fourni au Maréchal de Saxe un mémoire pour régler la conduite à tenir dans la circonvallation de Tournai ainsi que l’estimation du nombre de travailleurs, soit 1800, nécessaires à l’ouverture de la tranchée à Orcq, la nuit du 30 avril au 1er mai (L. CORMONTAINGNE, L’attaque des places, Paris, 1835, p. 276). Le comte d’Aumale a été nommé Maréchal de camp devant Tournai le 1er mai (COURCELLES, Dictionnaire historique et biographique des généraux français, Paris, 1820, p. 229). La présence d’Aumale au siège est donc avérée car la tranchée ayant été ouverte à deux endroits, l’un à la cense des Mottes à Froyennes et l’autre au centre d’Orcq, traversant la propriété actuelle de la Marlière. On peut  raisonnablement supposer qu’il logeait à Orcq.

Par contre, on peut affirmer avec certitude que le duc Charles de Fitz-James, commandant des travaux au siège de Tournai a logé à la Marlière. Les mémoires de Godefroy, témoin des faits, le raconte: « J’ai été à Orcq, chez milord Saint-James, qui est logé au château d’Orcq » et aussi « Le régiment de Saint-Jal a été obligé de se retirer un peu parce qu’il était trop vu du canon de la place ; un boulet de canon a donné dans le toit du château d’Orcq, dont un domestique de milord a été blessé» (J. COLIN, op. cit., p. 173).

L’attaque de la ville s’est faite par la porte des Sept Fontaines soit à l’endroit où la Chaussée de Courtrai arrive à Tournai. Le théâtre des opérations était situé entre les chaussées de Lille et de Courtrai et à l’est du rieu d’Orcq, appelé dans son cours inférieur, rieu de Maire. Orcq et son château où artilleurs et ingénieurs du roi étaient cantonnés constituaient donc le point névralgique de commandement des opérations du siège de 1745.

Fig. 6 : Plan (détail) des attaques de la citadelle de Tournay, 1745 (collection privée).

La figure 6 donne le détail du plan de la tranchée à Orcq (ANONYME, Plan des attaques de la ville et citadelle de Tournai, Lille-Paris, 1745).

De a à b, le tracé de la Chaussée de Lille

De c à d, le tracé du rieu d’Orcq

En 1, l’église encore perpendiculaire à la rue du même nom à cette époque.

En 2, le château de la Marlière, en 1745.

En 3, le dépôt comme indiqué sur le plan. C’est à cet endroit que la tranchée de quinze pieds de large a été ouverte, celle-ci permettait aux assiégeants d’approcher la ville à couvert. Un tel ouvrage mené anéantissait de fait le travail des agriculteurs. Ce dépôt contenant ce qui était nécessaire au siège, devait se trouver approximativement à l’endroit où se joignent les fonds des propriétés de M. M. Lhoir (ancienne ferme O. Bothuyne) et Soudant (ancienne ferme Ghislain) – parcelle A306 sur le plan Popp (P. C. POPP, Atlas cadastral de Belgique, plan parcellaire d’Orcq, vers 1860).

En 4, la Barrière (croisement du Chemin Vert et de la Chaussée de Lille).

En 5, la tranchée proprement dite qui était plus ou moins parallèle à la Chaussée de Lille et recevait près de l’Allée des Patriotes une branche venant directement de la chaussée, sans doute pour en faciliter l’accès. Elle faisait ensuite un coude pour traverser le Chemin Vert et continuer en direction de Tournai.

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

Nous remercions les personnes suivantes pour leur contribution à cet article: Pol Baudru, Mireille Beernaerts T’Sas, Thérèse Blaton, Xavier Crombez Rémond de Montmort, Daniel Delécaut, Patrice Delobelle, Bernard Desmaele, Romy Gouverneur, Patrick Horlait, Danielle Larivière, Servane et Thierry Letartre, Florian Mariage, Gilbert Monvoisin, Daniel Motte, Jacques Pycke, Francis Taquet, Alain Tripnaux et Régine Vergnes.